Témoignage
Mme Janine LEMERCIER
native et habitante de Pont-de-l'Arche
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[00:12]
Bonjour je m'appelle Madame LEMERCIER Janine, je suis née à Pont-de-l'Arche en 1929, et à part six mois que j'ai vécu à Sotteville-sous-le-Val j'ai toujours été à Pont-de-l'Arche. Je me suis mariée à Pont-de-l'Arche, mes enfants sont mariés, baptisés... C'est le berceau de notre famille. Parce que mes parents, mes grands-parents et arrières grands-parents étaient de Pont-de-l'Arche.
[00:43]
Habiter au bord de l'Eure
...Quai Maréchal Foch, depuis 30 ans, et j'y ai vécu aussi dans mon enfance puisque mes parents habitaient aussi Quai Foch quand j'étais enfant. Alors je suis dans un quartier sympa, gentil, au bord de l'Eure presque auprès du camping. C'est un quartier très agréable à vivre, et plein de verdure. Après la guerre il y a eu la piscine. Mais de notre jeunesse à nous, il y avait une allée d'arbres qui suivait ça comme sous les boulevards si vous voulez, et puis bon bah les femmes dans ce temps-là avaient mis des cordes à linge et on séchait notre linge là sur les cordes chacun notre tour, quand les fils étaient libres. Et de l'autre côté, où est le camping, c'était un terrain vague avec de l'herbe évidemment, et il y avait des trous de sable. Alors nous, étant gosses, tout le quartier on jouait dans les trous de sable. Je n'ai pas tellement de connaissance de mon époque de voir des gens se baigner dans l'Eure. Il y avait dans la Seine, après l'usine électrique, un petit banc de sable, et les garçons allaient plutôt se baigner là-bas. Mais pas dans l'Eure. J'allais souvent à la pêche avec mon père. Quand il avait une journée, on allait pêcher. On y passait du temps, puis on revenait le soir, c'était l'épluchage, tout ça... On mangeait la friture. Il y avait des petits goujons. Il y avait des carpes, mais il y avait beaucoup d’arêtes dans les carpes. C'était souvent des petits goujons que mon père attrapait. C'était bon. Et il y avait sûrement moins de pollution qu'il y a actuellement. Parce qu'il y avait beaucoup de gens qui allaient pêcher quoi. Ce n'était pas du tout pareil, la preuve c'est que maintenant je ne mangerais pas des poissons... je n'ai pas confiance ! [03:01] Pendant la guerre, mon père avait un jardin dans l'île. Il y avait des jardins et ils avaient fait des pommes de terre. Alors mon père avait une barque, je prenais la barque, je traversais carrément, et j'allais le rejoindre là-bas. Oui. Une ou deux fois la semaine quoi, ça dépendait de la saison. Il y en a qui avaient dans l'autre île par là, nous on était là... je ne connais pas ceux qui étaient à côté... Mais on pouvait faire des légumes dans l'île. On a vu descendre en barque jusqu'aux Damps. Mais avec mes parents, à ce moment là, mon père... Descendre jusqu'au pont des Damps, et tout ça, c'était une bonne promenade. C'est arrivé 2-3 fois qu'on est allé comme ça en barque. Il y avait pas mal de barques sur l'Eure quand même, hein. Le bateau qui est sur les Damps, là : eh bien le monsieur louait des barques. Donc ceux qui voulaient louaient une barque et on passait du temps là-dessus. C'était le dimanche. Il ne fallait pas grand chose pour nous distraire... 04:13 Le lavoir, il était là-haut sur la côte. Les gens allaient rincer leur linge au lavoir. J'y suis descendue plusieurs fois avec ma grand-mère et une tante. Ils rinçaient comme ça à l'eau froide et ils tapaient. Et ils remontaient avec la brouette, parce que mes grands-parents habitaient dans le haut. J'y ai réfléchi depuis : l'eau était froide. Ça ne devait pas être marrant, hein... Je sais qu'il y avait un gros robinet qui coulait, qui coulait... est-ce que ça venait du château d'eau ? Je ne sais pas. C'était public, hein. J'ai mon arrière grand-mère qui me racontait (elle est morte en 1951 et elle avait 98 ans) : dans le temps, ils faisaient les lessives, les draps et tout ça, deux ou trois fois dans l'année, à la cendre je ne sais pas, et ils étendaient leurs draps sur le boulevard qui mène au pont. Ils faisaient sécher leur linge ou alors ils le mettaient sur l'herbe... Ils faisaient comme cela. Et ils faisaient 5- 6 mois de draps. La corvée !
[05:30]
La guerre et l'exode
La guerre... mes parents habitaient un peu plus loin, 5-6 maisons, quoi. Et mon père était à la guerre. Quand ça a bombardé, qu'ils ont dit que les Allemands allaient arriver, on est monté chez mes grands-parents rue Olivier des Bordeaux. On a passé la nuit dans la cave. Mon grand-père avait été réquisitionné parce que c'était un ancien boulanger. Il allait à Léry, il était réquisitionné, il faisait la route à pied pour aller à Léry faire le pain. Et il est arrivé le matin vers 6h, il a dit faut qu'on parte, les Boches sont de l'autre côté. On est allé jusqu'au Mans à pied. Et j'avais ma petite sœur, qui avait 3 ans, et puis ma petite cousine aussi, qui était dans la poussette. On est parti, ma grand-mère, ma mère, la tante, on est parti sur les routes. Alors on a couché dans des fermes, on a dormi dans des trucs à chevaux, dans la rue, dans les champs aussi. On a eu de la chance, on a eu du beau temps tout le temps. Même trop chaud. Le goudron collait aux semelles, si bien qu'on partait le matin très tôt de manière que l'après-midi on s'arrête plus tôt aussi. C'était au mois de juin 1940. Oh, à peu près trois semaines, peut-être. Ça dépendait des jours, comment on pouvait rouler... On avait souvent les convois militaires qui nous donnaient des boîtes de corned-beef à ce moment-là. On en a mangé pas mal. Et puis on faisait la queue pour le pain quand il y avait une distribution. Et on est arrivé... La dernière matinée, il y a des avions qui nous ont survolés. Il nous est arrivé de nous coucher dans les fossés parce qu'on était mitraillé là. Et on est arrivé au Mans, on avait été survolé toute la matinée avec des avions des Allemands. Il y avait la croix noire et ma tante disait "Oh c'est la défaite". Parce qu'elle dit ils ont la croix noire et on avait pensé que c'était les Allemands. On est arrivé vers midi, et ils sont arrivés une heure après. Quand on les a vus débouler, on a été recueillis dans une gare de tramway. Alors il y avait plein de monde. Paillasses. On a dormi là sur les paillasses sans arrêt. Ma tante qui était avec moi, son mari, mon oncle, y est resté, à la guerre... Il avait 28 ans. Il a été tué à Épernay. On est resté là-bas, et puis les Allemands, bon on a vu qu'ils ne nous ont pas fait de mal. Mais au début j'aime mieux vous dire que quand on en voyait un, on tristait, hein, on allait vite. Et puis on a repris la route en sens inverse après. Au moins trois semaines quand même, qu'on est resté là-bas, oui. Oui, parce que je vois les alignées de paillasses, tout ça, oui. On était du monde, là dedans. Et puis on a fait un petit bout de route en camion je crois. Et puis après on a fini à pied. La dernière nuit on a dormi à Goupillières, ça je m'en rappelle parce que la dame nous a mis dans un grenier, on a dormi sur la planche. Et j'avais ma petite cousine qui disait "Oh Maman, mon petit dos, mon petit dos..." Et quand le matin on s'est levé, on a dit Bon, allez, on prend la route et puis on a fait tout. Quand on a aperçu le clocher, ah bah on avait des ailes ! [09:32] Notre maison, là, tous les carreaux étaient cassés. Ma mère avait un meuble, puisqu'elle était couturière... tout était sorti. Et on a retrouvé notre chien, qui nous attendait là. On l'avait perdu en route. Il s'est perdu, et il était là. On a retrouvé notre chien dans les décombres de la maison ! Alors les voisins qui étaient rentrés lui donnaient à manger. Nous étant gosses, quand on a vu notre chien ! Et puis, le chien, pareil... Alors après elle a fait mettre des papiers goudronnés, tout ça. Et mi, je montais coucher chez mes grands-parents tous les jours parce que la chambre du devant, il n'y avait pus de carreaux, il n'y avait plus rien, alors ma mère avait pris la chambre de derrière. Le pont était sauté, hein, ils l'avaient fait sauter. Et puis, c'était les vitres, tout ça, qui était cassées, dans la ville. Après, on a fait la queue pour avoir à manger, parce qu'on avait une carte. Il fallait attendre, et puis des fois on faisait la queue des heures, et puis quand on arrivait à notre tour, il n'y avait plus rien. Et puis les commerçants à ce moment là n'étaient pas très aimables... C'était un petit peu les maîtres. "Y a plus rien ! Y a plus rien ! Repartez chez vous." Je faisais la queue, je me rappelle, au tabac, parce qu'on avait la carte de tabac de mon père, et on lui envoyait dans un colis... Il était prisonnier. Alors, je faisais la queue. Ah pour manger, je faisais la queue ! Parce que j'avais faim... J'avais faim. On mangeait beaucoup de rutabagas. J'étais jeune, mais quand ma mère allait faire ses journées de couture, ben je faisais de la soupe aux rutabagas. Et puis à 16h je mangeais un bol de soupe. Le rutabaga passait mieux que les topinambours. Ah oui, ça avait meilleur goût quand même. Alors que le topinambour... on en mangeait, parce que... Après il y a eu des champs de pommes de terre, et avec l'école, on allait ramasser les doryphores, dans les champs de pommes de terre, pour les cultivateurs. Alors on montait, il y en avait là sur la route de Tostes et tout ça, là où il y a les maisons, c'était du terrain. On allait faire une après-midi de doryphores. Nous, les gosses, ça nous plaisait. Les doryphores ils mangeaient les pommes de terre. Ils étaient sur les feuilles, c'est comme des coccinelles rouges. Puis en arrivant, la maîtresse faisait un feu dans un truc rond qu'elle avait, et on brûlait les doryphores. Et ça pululait, hein, je ne sais pas justement pourquoi à cette époque là... Quelque chose dans l'air, sans doute... Parce que la terre, elle était restée pareil. Ou peut-être les Boches qui nous envoyaient des doryphores ! Oui, quand ils en voyaient, "Oh il y a des doryphores !" Ça s'attaquait, ça mangeait la feuille, alors la verdure, la sève ne montait plus, les pommes de terre ne grossissaient pas. [12:38] La passerelle, là, j'ai connu les travaux. Tout ça, c'était plein de rondins de bois, parce que les gars coupaient le bois en forme, et puis ils "épluraient" les écorces, tout ça, pour que le bois soit bien. Et puis quand ils taillaient, il y avait des morceaux, alors des fois on avait le droit de les ramasser pour faire du feu. Ça dépendait comment ils étaient de bonne humeur... Quand on pouvait ramasser, on prenait, parce qu'il n'y avait que ma mère. Mon mon grand-père était déjà âgé, j'ai connu mon arrière grand-père une fois venir nous scier du bois le pauvre homme. Ou alors on allait en forêt le samedi, avec une voisine et son mari qui n'avait pas été mobilisé. Il abattait les petits arbres, il chargeait les brouettes des femmes. Et puis quand on montait à Bon-Air, là-bas, ça faisait une côte, alors il montait une brouette, il la posait, il retournait chercher l'autre brouette... C'était du temps des Allemands, oui. Alors ils étaient plusieurs hommes, là, à faire les rondins, et puis il y avait plein d'ouvriers qui tapaient, et tout ça, qui faisaient la passerelle en bois. C'était des ouvriers qui était embauchés, je ne sais pas par qui... Elle était bien faite : il y avait le passage en dessous pour les piétons, et au dessus les voitures. Ça a quand même dû mettre un bon bout de temps, parce que ça fait quand même une sacrée longueur. Sinon, on traversait en barque pour aller de l'autre côté, si on voulait prendre le train pour aller à Rouen. Il n'y avait pas de car. Alors, il y avait des passeurs. Il y avait déjà les ouvriers, qui le soir sortaient des usines. Alors il y avait des bateaux, là, au bord. Ils étaient plusieurs personnes qui faisaient traverser les ouvriers, et le matin pareil, quoi. Ils revenaient travailler. [14:53] C'est vers 1945, quand les Américains sont arrivés, quoi, les Canadiens. Parce que c'est les Canadiens qui nous ont délivrés. Et avec une copine qui est décédée il y a 2 ans, un jour que ça été bombardé, on a vu les bombes tomber, hein, au ras du pied de la passerelle. Et les bombes sont restées, hein. Je l'ai dit plusieurs fois, à plusieurs personnes, parce que si un jour ils draguent ou n'importe... Mais alors, des bombes d'une hauteur comme ça, à pic, ça a volé en éclats. Et comme j'habitais un peu plus loin, il y avait une arrière-cuisine à l'arrière. Il y avait une casserole sur le poêle, la casserole elle sautait, des déflagrations que ça a fait. Et là, oui, ils sont venus bombarder, même un soir, il y a eu un mort, le petit Vandal. L'autre frère a eu la jambe coupée... Du côté, plus loin auprès du pont là, il y avait tout un quartier, là... Il a été rasé, ce jour là. Il y avait tout un quartier qui montait comme ça, en face le docteur Attal, la maison qui est là-bas, c'était tout un quartier, et là où est aussi la pédicure, tout ça,là aussi, ça, ça a été rasé. Et c'est ce jour-là qu'il y a un petit jeune, il avait 7-8 ans, le gosse, il a été tué, et le frère a eu la jambe coupée. Il habitait aux Damps, le frère Vandal... Il travaillait avec nous à l'usine de chaussures après. Oui, on a été bombardé plus d'une fois, à Alizay, il y a eu un gros bombardement. Il y a eu des morts sur Alizay aussi, hein. Et puis la nuit, ça arrivait qu'on entendait les avions. Alors, on descendait, là où est ma petite, la maison une, deux, trois plus loin... Il y avait une cave, mais sous roche, parce que c'est avec les fondations de l'église si vous voulez. Alors on se mettait à l'abri là dessous. Alors on a passé... Pendant la Libération, on a été enfermé là dedans tout le temps. Et puis le voisin d'à côté avait troué, alors ça faisait deux caves. On était tous rassemblés là. Et un jour, les hommes étaient sortis pour voir un peu, et ils ont été visés : les Allemands étaient dans l'île. Les balles ont sifflé, alors on est rentré, on n'a plus bougé, hein. Et quand ils allaient pour chercher quelque chose à manger, il y en a un qui faisait vite, quoi, pour gagner une autre maison... Mais c'était pas rigolo... [17:39] On a vu toute la débâcle. On a vu les Allemands partir en voiture amphibie, traverser la Seine. Il n'y avait pas le déversoir à ce moment là. Ils traversaient la Seine en voiture amphibie, ou à cheval. Et on a vu des chevaux couler, hein. Ah oui, ils traversaient, ils se jetaient à l'eau comme ça pour se sauver, quoi. Parce que les Américains sont arrivés de par là. Et quand ils sont arrivés, moi et ma copine, on essayait de se faire comprendre, mais ils nous a dit "Mais on parle français". Alors ça allait mieux ! Alors là on a eu des tablettes de chocolat, on a eu les chewing-gums, les premiers chewing-gums, les hommes pour les cigarettes. Oh, ils donnaient des cigarettes aux hommes, alors les hommes ils étaient contents. Et on montait sur la route de Tostes, sans arrêt, il y avait la queue de leurs voitures. Et là, sur Bonport, il y avait tout un tas de voitures allemandes qui avaient été mitraillées, et une fois on est monté au cimetière, et on dit mince, il y avait des corps d'allongés comme ça, ils leur avaient mis une bâche dessus, quoi. C'était la guerre... C'est des tristes souvenirs, vous savez. C'est des choses, même si on est jeune, qu'on n'oublie pas, hein. On n'oublie pas. Alors après, il y eu les Américains, bon, c'était mieux. C'était mieux. On avait du chocolat (rires). Ils savaient qu'on en avait manqué pendant la guerre, alors ils nous en donnaient facilement. Ça, les chewing-gums. On n'en avait jamais eu. C'était la nouveauté. Oui, les chewing-gums... On innovait. Après, ça s'est continué gentiment, quoi. Ils ont continué leur bataille, parce qu'ils n'avaient pas fini quand ils sont arrivés ici. Ils ont continué la bataille. Mais quand il y a eu la débâcle des Allemands, ça c'était... Je me rappelle, il y avait une voiture, il y avait un jeune gars qui était dedans, blessé... gravement. Il gémiait. Ceux qui étaient dans la voiture sont venus demander à ma mère de l'eau. Elle venait de perdre son frère à la guerre, mais elle a donné de l'eau quand même, parce qu'elle dit, peut-être que d'un autre côté, il faut être humain. Il faut être humain, il faut laisser... C'était un pauvre gars qui souffrait aussi, qui n'avait pas demandé non plus à partir à la guerre, hein. Alors, elle avait donné de l'eau, puis ils sont repartis, ils prenaient un pont peut-être sur le Manoir, je ne sais pas. Parce que, avec le gars, ils ne pouvaient pas passer la Seine et tout ça... Il n'a pas dû aller loin, le pauvre gars. Ça, c'est affreux, hein... Parce qu'il y a même beaucoup de cimetières allemands, où les soldats sont restés, ils n'ont pas été rapatriés ni rien du tout. Que nous, notre oncle, il a été rapatrié. Ma mère et mes grands-parents et la veuve, y sont allés, parce qu'il y avait un soldat, mais gradé, et puis le père était mort aussi là-bas. Et lui, il avait eu l'autorisation de faire relever le corps. Et à ce moment-là, ceux qui s'occupaient ont dit, mais pourquoi pas les corps qui sont là ? Ils avaient reconnu le corps. Puis on nous l'a rendu, je ne sais plus, la guerre devait déjà être finie quand ils nous rendu le corps. En 1914, ma grand-mère a perdu son frère, mon grand-père a perdu son frère, en 1940 ils ont perdu leur fils, à la guerre d'Algérie nous avons perdu le fils (mon mari était un divorcé, il avait un fils, et il était chez nous parce qu'il avait été enlevé à la maman). Il était chez nous, il est mort en Algérie. Alors, à chaque guerre, il en reste un, hein... C'est pas évident...
[22:11]
Les ponts après la guerre
Le pont d'Arromanches, c'était sur des bateaux. Quand il y avait des péniches qui voulaient passer, ils coupaient le pont, ils avaient un système, ils coupaient le pont, les péniches passaient, et puis si vous étiez de l'autre côté, bah vous attendiez qu'ils remettent le pont en état de marche, quoi. Je ne sais pas, peut-être deux fois dans la journée, peut-être, parce que les bateaux devaient s'arranger aussi pour passer ensemble, les uns derrière les autres. Parce qu'à chaque fois on entendait une espèce de hurlement, une sirène ou quelque chose, qui annonçait qu'ils coupaient le pont, quoi. Alors, ils devaient s'arranger, peut-être qu'ils attendaient à plusieurs et puis après... Parce que je me rappelle qu'à l'école on entendait le truc, on disait "Ah, tiens le pont va être coupé". On entendait ça. C'était des passerelles en bois sur le côté, et puis je sais pas le revêtement comment c'était, quoi. Et puis le pont là, je crois que c'est vers 1950 et quelques qu'il a été fait. Je me rappelle de l'inauguration, tout ça, il y avait Mendès-France qui était là. Et j'habitais la Petite Marie, alors donc je n'étais pas loin, j'ai vu la construction du pont. Ça a duré quand même un bon moment, hein. Puis ils ont fait les essais, et tout ça, pour voir quand même. En attendant, on passait sur le pont là, les péniches, tout ça... Ça tanguait un petit peu, mais bon.
[23:58]
La navigation sur la Seine
Avant, c'était des bateaux avec une grande cheminée, les remorqueurs, qu'on appelait ça. Et puis quand ils venaient pour passer sous le pont, la cheminée se couchait, et les péniches étaient attachés derrière le remorqueur, oui. Et ça faisait une grande fumée. Ça devait marcher au charbon, sans doute, ou quelque chose, hein. Et ça klaxonnait pas mais ça faisait un "ouuuu"... On disait tiens, il y a une péniche, ça monte. C'était les remorqueurs. "Les r'morqueurs !", comme disaient les vieux de Pont-de-l'Arche... Il y avait pas mal quand même de navigation. C'était peut-être le seul moyen qui était le moins abîmé que les routes qui avaient été bombardées et tout ça, c'était peut-être plus facile d'aller par la voie fluviale qu'autrement. Et il y avait peut-être encore la pénurie d'essence pour les camions. C'était mieux, c'était plus long mais c'était mieux. Ah, il y avait beaucoup de charbon. On voyait des convois entiers de charbon. Parce que ça, on le voyait. Après, d'autres qui étaient bâchés, on ne voyait pas, mais le charbon, oh oui. Ça a navigué longtemps, le charbon.
[25:23]
Les inondations et les hivers
Moi, j'ai connu des inondations jusque sur le milieu de la route, en 1940-1941\. Alors, les barques qui prenaient les ouvriers les prenaient de là sur le milieu de la route, et ils allaient jusqu'à la gare. Tout avait été inondé. C'est la plus forte inondation que j'ai connue. Parce que j'en ai connu une autre depuis que je suis là, mais ça a été oui sur le parking en bas, le camping aussi a été inondé, mais ça n'a pas été sur la route, là. Depuis, ça a été recreusé vous savez, puis ils on fait le chemin en bas, ils ont rehaussé, tout ça. Alors maintenant bon, ça monte peut-être voir arriver là, mais sans doute qu'avant la guerre, ça devait être plus souvent inondé, parce que c'était plat. Et puis comme le terrain était tout plat... le camping a été rehaussé aussi, là, que je vous dit qu'on y jouait, là, il y avait même des étentes à linge. Dans le fond, c'était la bonne vie, personne ne faisait la guerre aux autres, chacun pouvait s'installer... C'était plus pittoresque. En 1940, le chemin là qui est à côté de chez moi, ce n'était qu'une glace. Je m'en rappelle, j'allais à l'école, et à ce moment-là, on avait des sabots. On arrivait à l'école, on enlevait nos sabots. Et je me rappelle de ma mère nous mettre des rondelles de caoutchouc pour protéger le bois, quoi. Les femmes, il fallait qu'elles se débrouillent toutes seules, hein. Et là, on ne pouvait pas y descendre, ce n'était qu'une glace, et il y avait des chandelles comme ça aux fils électriques et tout ça. Mais ça a été un hiver très très dur, très dur en 1940\. Ça a charrié des glaçons, ça a charrié des plaques de glace si vous voulez, oui. Et même, il y a eu un autre hiver dur, ça doit être 1951, quelque chose comme ça. Ma première fille était née, et je me souviens qu'on avait du mal à se chauffer là où on habitait, là-bas, et mon mari, qui était à la Sika, avait ramené une grande bande de toile qu'on avait mis tout le long, comme c'était des vitres, pour que ce soit plus chaud peut-être, il y avait moins d'air qui passait. C'est l'hiver où l'Abbé Pierre a fait l'appel pour les pauvres gens qui étaient dehors, c'est cet hiver-là.
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