Témoignage

M. Francis SERRE
natif d'Igoville

Mme Dominique SERRE épouse BRICNET
native d'Igoville

Vidéo

Retour à la vidéo HD

Piste audio

Transcription

Cliquez ici pour afficher / masquer le texte

[00:12] DB Bonjour, je me prénomme Dominique, mon nom de jeune fille est SERRE, et je suis mariée de Daniel BRICNET, et mon frère ici présent.
FS Francis SERRE, je suis né 18 mois après Dominique, ma sœur.
DB Et nous sommes donc nés tous deux, nous étions une fratrie de trois enfants, et deux des trois sont nés au chantier, à Igoville, au lieu-dit le Canal, puisque le chantier est installé sur le lieu-dit le Canal. C'est là où le chantier était prévu pour la réparation de bateaux. Mais en fait ça n'a duré que quelques années puisque le pont provisoire était fermé la nuit, de Pont-de-l'Arche à Igoville, et donc on a eu la bonne idée de naître tous les deux, toi si tu es né aussi tôt le matin ?
FS Euh... Je n'en sais rien du tout.
DB Tu ne sais plus, enfin moi je suis très tôt, et bien le médecin était à Pont-de-l'Arche et derrière nous, là où tout de suite on est à vous parler, donc il fallait traverser dans la Seine que l'Eure puisque ce pont n'était pas ouvert. Donc mon père avait instauré un service de barque qui se faisait à la godille, et on traversait, mon père est venu chercher le médecin du chantier à l'île, a traversé l'île, de l'île a repris une autre barque qui était en instance pour venir de l'autre côté et aller chercher le médecin qui habitait à 150 mètres de l'Eure.
FS Parce que l'accouchement s'est fait dans le chantier hein. Il n'y avait pas que des bateaux !
DB Dans le chantier oui. Non nous sommes nés...
FS Physiquement dans le chantier.
DB Dans l'habitation de nos parents. Et donc ça a toujours été un souvenir pour ce médecin, qui nous en a toujours parlé à chaque fois qu'il nous voyait.
FS Ah oui c'est resté un souvenir fort pour lui.
DB Et toi tu as eu un problème de brouillard, enfin toi, pas toi, mais...
FS Moi non, mais le médecin oui. Il s'est retrouvé au milieu de la scène avec un brouillard épais, et pour tous ceux qui ont fait du bateau dans le brouillard, sans repère particulier ni boussole quand ils sont partis comme ça "à l'arrache", et bien il s'est retrouvé au milieu de la Seine sans savoir s'il fallait qu'il aille à droite, à gauche, tout droit ou derrière. Alors il nous a toujours dit que c'était le courant, il a suivi un peu le courant et il s'est dit que le courant à l'époque il l'avait repéré en montant dans la barque, et que donc en fait le système le mieux c'était de suivre le courant. C'est-à-dire qu'il laissait un tout petit peu la barque dériver, et à ce moment-là il disait ah bon ça y est c'est dans ce sens-là, donc il faut que j'aille en perpendiculaire puisque le but c'était de traverser. C'était pour la petite histoire, il a raconté ça tout au long de sa carrière professionnelle. En tout cas c'était un bon médecin ! Parce qu'on est toujours là, pour l'instant !

[03:37]
Le chantier fluvial

FS Il a été fait dans les années 1930, avant la guerre. Bon bien sûr pendant la période de guerre il a pratiquement cessé son activité, et justement la reconstruction des bateaux, la réparation des bateaux a commencé dans les années 1948, après 1945, enfin après la guerre, et c'est là que réellement l'activité de chantier fluvial a pris tout son essor. Ici à Igoville et Pont-de-l'Arche, mais aussi à Rouen, enfin sur tout l'axe de la Seine et puis au Conflans-Sainte-Honorine, Andrésy, enfin toutes ces villes sur la Seine ont toutes eu des chantiers de réparation fluvial puisque la flotte fluviale était importante.
DB Et la société avait même des chantiers ailleurs.
FS Ailleurs, oui justement. Et là on était aussi à cette période-là le passage entre tous les bateaux en bois d'avant-guerre et après la guerre tous ces bateaux ont été transformés ou cassés et remplacés par des bateaux en fer, en tôle. Le lieu, le canal était bien choisi puisque en fait ça a permis de faire ce qu'on appelle un tirage la terre, puisque la réparation fluviale, quand c'est des petites réparations ça peut se faire le bateau restant sur l'eau, mais pour des grosses réparations qui interviennent sur le carénage sur tout ce qui est chaudronnerie, enfin corps du bateau, souvent le bateau était tiré à terre. Et pour tirer un bateau à terre, et bien c'est un système de pente avec des rails puis le bateau, le chariot rentre dans l'eau, le bateau se positionne dessus, enfin on voit ça dans tous les ports maritimes pour les bateaux de pêche enfin peu importe, c'est exactement le même système. Et donc le fait que ce soit un canal qui existait avant a permis rapidement de transformer, c'est pour ça que le lieu était bien choisi. Donc déjà la position est liée au fait qu'il y avait un système, un canal de dérivation de la Seine, et c'est cette partie de canal qui a servi à faire ce que nous on appelait la cale sèche. [05:59] Sur le tirage à terre, on pouvait traiter deux péniches à la fois. C'est-à-dire, il y en avait une devant, une derrière, ou quelques fois ça pouvait être l'une à côté de l'autre, ça dépendait des conditions, et puis aussi du temps d'intervention sachant qu'effectivement il fallait optimiser l'usage des cales en question avec aussi la difficulté qui est en fonction, en période de crue par exemple, il fallait faire très attention parce qu'en période de crue, si la Seine montait un peu trop, et bien le bateau qui était monté sur terre, on le retrouvait au milieu de la Seine, il fallait courir après. C'est arrivé quelquefois, on a un ou deux souvenirs de fêtes de famille un petit peu interrompues par la chasse au bateau. Donc oui oui on a vécu ces épisodes-là. Alors ça c'est effectivement le traitement, le gros traitement des réparations parce que beaucoup de réparations ne nécessitaient pas de mettre le bateau sur terre. Beaucoup de réparations se faisaient le bateau étant amarré au ponton, et il y avait, à ce moment-là les interventions c'était sur les logements, souvent c'était sur les logements, ou alors pour des réparations débosseler quand il y avait eu une avarie, de la tôle un peu froissée, si on peut dire, il n'y avait pas besoin de remettre le bateau sur terre pour le réparer.
[07:27] DB Le nombre d'employés en fait à la sortie de la guerre était une vingtaine de personnes et avec les besoins des dommages de guerre pour la réparation des différents bateaux, ils sont passés à 45, et ça pendant un certain laps de temps parce que c'était réparti en plusieurs corps de métiers, il y avait la métallerie la réparation diesel, FS La mécanique
DB La chaudronnerie, serrurerie
FS Menuiserie, enfin ébénisterie c'est un grand mot, mais tout ce qui travaillait le bois, les meubles, puisque les meubles étaient souvent fabriqués sur place.
DB Et puis la charpente de bois.
FS Et puis la charpente de bois, tout à fait.
[08:10] DB Tous les employés avaient des logements de fonction. Alors notamment il y a eu au canal une construction neuve où...
FS Oui, neuve, qui existe toujours
DB Qui existe toujours. La dernière personne est décédée l'année dernière. Mais par contre ça avait été repris par un propriétaire autre que la société
FS Indépendant.
DB Mais pour autant donc tous les employés étaient logés tant au canal et là derrière vous actuellement vous avez une maison avec des logements qui se trouve sur le quai de l'heure, et il y a trois logements de fonction des employés. Naturellement... à cette époque-là... aujourd'hui, pourquoi ils sont murés, parce qu'aujourd'hui ce ne sont plus des logements qui peuvent recevoir...
FS Une famille.
DB Une famille. Parce que de toute façon les sanitaires, ce sont les petites portes qui sont sur la gauche, la buanderie est à côté, et puis il y avait une pièce...
FS Il y avait une pièce à vivre, et puis une chambre.
DB Une chambre, donc ce n'était pas bien grand. Et il y avait d'autres logements aussi en ville.
FS Oui en ville tout à fait.
DB Mais pas énormément. [09:25] On prenait le pont provisoire parce que...
FS Il y avait des barques, un système de barques.
DB Les barques, et puis le pont provisoire parce que lui il était ouvert dans la journée.
FS Il était ouvert dans la journée
DB La nuit il était fermé, mais dans la journée il était ouvert.
FS Il faut rappeler que ce pont provisoire, pendant plusieurs années, c'était la route de Paris hein. C'est-à-dire que, vous vouliez faire Rouen-Paris, vous passiez par ce petit pont provisoire, qui au demeurant, après la guerre c'était les ponts les fameux ponts Bailey que les Américains ont construit un peu partout parce que tous les ponts avaient été évidemment dynamités pendant la période de guerre.
DB Oui, la route nationale passait rue du Président Roosevelt dans Pont-de-l'Arche hein.
FS Enfin le pont vous pouvez toujours le voir, il existe toujours hein. [10:08] Ce que je pourrais rajouter c'est que ce chantier de réparation fluvial faisait partie, alors à Pont-de-l'Arche l'activité c'était la chaussure bien entendu et donc il y avait beaucoup beaucoup d'ateliers de chaussures, mais l'activité, le canal puisque les gens ne parlaient même pas du chantier, ils parlaient du canal, pour eux c'était le canal. Donc alors beaucoup le chantier, beaucoup le canal. Le canal était la partie un peu moderne de la ville hein, c'est-à-dire les ouvriers, 90% des ouvriers, des employés de Pont-de-l'Arche travaillaient dans la chaussure, dans le domaine tout ce qui était chaussures, et puis il y en avait quelques-uns qui travaillaient au chantier, de l'autre côté. Et il faut voir, pendant cette période, notre jeunesse c'est-à-dire des années 1950 à 1970 presque, mon père avait aussi une fonction au niveau de la commune qui était premier adjoint, et le chantier, enfin sa technicité, son savoir d'ingénieur mécanique etc., et puis de tout corps d'état puisque finalement, je me rappelle que sur un bateau il y a tout beaucoup des corps d'état, enfin beaucoup des corps d'état en tout cas à l'époque, et donc en fait ça faisait qu'il avait dans sa fonction de premier adjoint, il s'occupait de tout ce qui était technique, et le Maire lui il s'occupait de toute la partie administrative. Et pendant plusieurs années, j'oserais presque dire presque deux décennies...
DB Ah oui c'est sûr
FS ...Oui c'est ça hein. Ils ont fait un duo exécutif au niveau de la commune assez dynamique et performant parce qu'il y avait, j'oserais presque dire la tête et les jambes. C'est-à-dire, le technique était traité de façon très efficace, mais aussi l'administratif. Donc si vous voulez dans la vie locale le chantier c'était beaucoup, c'était important, et moi j'ai le souvenir aussi de beaucoup d'Archépontains, enfin de personnes de Pont-de-l'Arche ou d'Igoville parce qu'il y avait aussi la ferme d'en face.
DB Ah la ferme d'en face oui oui oui.
FS Il venait régulièrement faire réparer tous ses matériels agricoles, resouder, forger, etc. On forgeait, je me rappelle qu'à la forge, on traitait toutes les pointes des maçons pour leurs marteaux-piqueurs. Il y avait toute une vie locale aussi qui tournait autour de ce chantier. C'était, il y avait le fluvial bien entendu, mais il y avait aussi le fait que c'était un atelier important de mécanique, chaudronnerie, plomberie, enfin voilà.
DB Il y avait toujours une solution.
FS Oui c'est ça. Sur un bateau en plus c'est pareil, c'est comme aujourd'hui, quand vous êtes en mer, vous avez un problème, il faut le traiter, et bien sur un bateau c'est la même chose, il faut trouver des des palliatifs.

[13:07]
Être enfant sur le chantier

FS Moi en fait ce qu'il faut dire et on peut peut-être à ce moment-là aussi en profiter pour dire qu'on est restés nous, Dominique et moi, tout jeune on est restés trois ou quatre ans de l'autre côté, c'est-à-dire dans le chantier-même, il y avait deux ou trois logements, deux ou trois maisons, petites maisons, et donc nous on en a habité une pendant trois ou quatre ans, et après on est venus sur la maison de Pont-de-l'Arche qui était qui s'est trouvée après juste à côté du pont, mais on habitait cette maison-là. Alors pourquoi je dis ça, parce qu'en fait, quand j'étais jeune, après l'école, souvent ma mère nous emmenait au chantier. Et quand je dis elle nous emmenait au chantier, c'est-à-dire qu'à l'époque le pont avait commencé d'être, on commençait par passer par l'ancien pont, et puis après il y a eu le nouveau pont, et le soir souvent, ou le jeudi, parce que nous à l'époque c'était le jeudi le jour sans cours l'après-midi, et bien on le passait au chantier, et là, c'est là qu'effectivement, je me suis retrouvé à passer des après-midis entières à courir dans les ateliers. Alors bien sûr, je n'avais pas tout à fait le droit d'aller sur le ponton qui enjambe, enfin pas enjambait mais qui donnait directement sur la Seine, mais il y avait l'atelier chaudronnerie, il y avait l'atelier mécanique, il y avait la forge, hein à l'époque on forgeait beaucoup, enfin les pièces, et notamment pour river les tôles pour les bateaux de fer, et bien ils étaient rivés exactement comme pour la Tour Eiffel. On vient de fêter les, si je crois bien, les cent ans de la mort de Monsieur Eiffel, je ne sais pas si c'est les cent ou autre chose, mais on a beaucoup parlé du système d'assemblage des tôles par rivets, on a vécu cela pendant pratiquement sept-huit ans, où on posait les rivets, sauf qu'on ne les posait plus au marteau, mais on les posait avec des marteaux pneumatiques, et ça c'était tout début, moi j'ai vu arriver au chantier les premiers marteaux pneumatiques pour riveter les rivets chauds. Donc la forge servait à cela. Après il y a eu tout l'atelier menuiserie, et dans l'atelier menuiserie, avec des particularités pour les compagnons, il y en avait des charpentiers, beaucoup parce que beaucoup étaient issus de la marine, enfin de la marine, de la construction en bois, donc on appelait ça les charpentiers de marine. Alors au bord de la mer c'est très bien pour les bateaux de pêche, mais il faut savoir que tous les bateaux à l'époque étaient, tous les chalands étaient en bois et donc, charpentier de marine. Et puis pour la petite histoire, mon père, si je me rappelle bien la carte d'identité ou le permis de conduire de notre père avait été fait à Igoville,avec comme profession "charpentier de marine"
DB Oui oui, ça c'est sûr.
FS Alors qu'il était ingénieur, enfin qu'il avait fait une école d'ingénieur mécanique à Paris, donc mais à l'époque, la valorisation se faisait presque plus par le terme de charpentier de marine que par mécanicien, ou ingénieur en mécanique. Alors la fonction de mon père a été en fait de reconstruire la flotte après la guerre, puisqu'il a intégré ce chantier juste après la guerre de 1945, dans les années 1946. Donc sa fonction était réellement de remettre en état cette flotte, de faire évoluer les bateaux de passer du bois au fer, et donc c'est pour ça qu'on est, l'effectif est passé de 20-25 à 45 assez rapidement parce qu'il y avait effectivement toute cette flotte à reconstruire et à remettre en état. Et moi, en fait, j'y ai passé beaucoup de jours pendant mes vacances. J'y allais souvent, et puis mon père m'a appris à souder, à bricoler, enfin à l'époque on avait cette possibilité-là et avec les employés du chantier, en fait,
DB Il y avait un lien
FS on était bien traités quoi.
DB Il y avait un lien amical, ils nous...
FS C'était presque une famille puisqu'on a habité avec eux pendant quelques temps. Donc c'est vrai qu'on côtoyait cette vie au quotidien, ce chantier on le vivait matin, midi et soir hein quelques fois.
[17:46] DB Moi je ne me suis pas investie, je venais simplement voir mon père sur le chantier, et puis voir les employés qui étaient toujours sympathiques avec nous. Alors on allait au magasin, hein tu te rappelles ?
FS Tout à fait.
DB Mais moi j'étais plutôt en retrait. Et puis, il faut dire aussi que, la bravoure n'étant pas de mise à cette époque-là, monter sur les bateaux euh, comme il paraît que ça faisait, que c'était dangereux, et bien je restais en arrière de l’appontement, ça m'allait très bien.
[18:21] FS Alors moi j'y ai travaillé, officiellement, et j'ai des bulletins de salaire qui ont été faits par la société d'exploitation, j'ai des bulletins de salaire parce que l'été je graissais les écoutilles. Alors c'est quoi graisser les écoutilles, les écoutilles sur un bateau c'est les morceaux de fer, enfin les tôles que l'on met les unes à côté des autres sur le bateau pour empêcher la pluie (qui du reste ne va pas tarder) pour empêcher la pluie de rentrer de mouiller la cargaison. Donc ces écoutilles-là étaient en fer, elles rouillaient, et donc il y avait un tas d'écoutilles importantes dans le chantier, et tous les ans, pour éviter qu'elles rouillent, on les graissait, alors c'était quoi, on les huilait. Alors on avait des brosses au bout d'un manche, comme je dis "on", j'avais, parce qu'il n'y avait pas beaucoup de volontaires pour faire ça, et donc on donnait un coup de brosse métallique pour enlever la rouille et puis après on graissait l'écoutille, et on passait à la suivante, mais il y en avait des milliers, donc ça occupait pendant les vacances. Donc j'ai été occupé pendant une ou deux grandes vacances à faire ça. Et puis après, oui après on est passés à autre chose parce que graisser, enfin huiler les écoutilles... d'abord, la loi a interdit aux chantiers de navigation de graisser puisque souvent, longtemps, pour empêcher l'eau, la tôle de rouiller, les tôles étaient huilées. Alors elles étaient huilées avec quoi ? Avec l'huile de vidange, c'est-à-dire qu'on ramassait dans les garages du coin, on ramassait des bidons d'huile, on les stockait dans une cuve, et puis après avec les brosses on huilait les bateaux. C'est comme ça que dans les années 1960, la Seine de temps en temps on avait des marques, un petit peu des arcs-en-ciel sur l'eau parce qu'il y avait des taches d'huile, et ça a été interdit, alors je ne saurais pas vous dire la date précise, mais je sais que dans les années 1960, avant les années 1970, c'était même dans les années 1960, ça a été interdit huiler les bateaux, il fallait les peindre avec des peintures spéciales, je ne dirais pas écologiques parce qu'une peinture à mon avis n'est jamais écologique mais enfin, en tout cas, des revêtements qui fassent que ça soit moins nocif pour les poissons.

[20:51]
Transformer et réparer les bateaux

FS Sur la réparation donc on est passé de bois à fer, et puis aussi on est passé de la traction, c'est-à-dire le fait que les bateaux beaucoup de bateaux n'avaient pas de moteur, c'était ce qu'on appelait des chalands, et qui étaient tirés par des remorqueurs. On a vu nous sous ce pont, qui est au cas particulier pas si vieux que ça, enfin, pas si vieux, il a maintenant plus de cinquante ans hein, même soixante-dix presque hein. Enfin sous ce pont-là, on voyait passer les remorqueurs, et les remorqueurs à vapeur qui baissaient la cheminée. Moi je garde ce souvenir là également. Bon alors ça s'est arrêté dans les années 1960 ça hein, c'était vraiment la fin. Mais pour dire que des chalands où il y avait un logement, une famille, et puis qui était tiré par des remorqueurs, et bien après on est passé à des automoteurs. C'est-à-dire que la fonction du chantier, c'était aussi de transformer ces bateaux qui étaient immobiles, enfin qui n'avaient pas d'autonomie pour se mouvoir, c'est passé avec des moteurs. Et donc le chantier, sa spécialité, c'était aussi de transformer ces chalands en automoteurs, les fameux automoteurs dont il y a eu plusieurs feuilletons qui ont été faits sur des péniches qu'on appelait les Freyssinet 38 mètres 50. Beaucoup ont été mis avec des moteurs, alors les moteurs Volvo, les moteurs Penta, les moteurs Perkins, enfin bref toutes les marques de moteurs. Les tracteurs agricoles avaient à peu près les mêmes moteurs. [22:39] La technique de l'agrandissement, ça a été fait ça. Beaucoup, enfin beaucoup, moi j'ai le souvenir d'un ou deux bateaux qui ont été effectivement coupés en deux et pour lequel on a rajouté six mètres par exemple, six mètres de tôles, et puis ressoudé de chaque côté, ou riveté à l'époque, enfin selon les années où c'était fait, donc ça c'était fait. Pour transformer un bateau chaland en automoteur c'est un petit peu plus compliqué parce qu'il y a l'arbre d'hélice bien entendu qu'il faut installer, il faut modifier l'arrière puisque, quand vous regardez toujours un bateau pêche, si vous voulez à l'arrière là où il y a l'hélice, en général la coque est beaucoup plus serrée et fine puisqu'il faut que le mouvement de l'eau permette de pousser comme il faut, donc il y avait à redessiner une partie de l'arrière du bateau. Et là ça ne s'est fait que sur des bateaux en fer ça. C'était toute la partie chaudronnerie ça. Donc effectivement cette partie mécanique était importante. Alors il y avait cela, et puis il y avait une intervention sur les logements, qu'il ne faut pas négliger parce que ça nécessitait des plombiers, des électriciens... Les gens vivaient donc il fallait vraiment avoir un petit logement dans un bateau. Et chaque bateau avait son logement, il y avait même un logement à l'avant. Le logement arrière était en général réservé à la famille du marinier, enfin oui du marinier, et la partie avant était souvent réservée, c'était le logement de l'aide, de la petite main, de l'employé du marinier si on peut dire. Il y avait celui qui conduisait le bateau qui était à l'arrière et puis il y avait celui qui faisait toutes les manœuvres, c'est pour ça aussi qu'on l'appelait le manœuvre hein, pour être franc. Il y avait celui qui faisait toutes les manœuvres qui était logé à l'avant. Alors les manœuvres c'était quoi, c'était passer les câbles, les enrouler, amarrer le bateau, c'était utiliser une perche pour éviter de s'enliser ou de s'ensabler quand on arrivait sur un banc en Seine, parce que la Seine n'a pas toujours été draguée comme elle l'est maintenant. Il y avait toute une vie qui tournait autour de ces bateaux.

[24:59]
Le déclin de la batellerie

FS Moi j'ai vu ce déclin si vous voulez au moment des années 1968, les événements de 1968 ont eu un effet. Enfin il y a eu deux choses : il y a eu d'abord les événements de 1968 en eux-mêmes avec les hausses importantes des rémunérations. Il faut savoir que les mariniers, les familles de mariniers qui vivaient sur bateaux, sur ces chalands, ils n'étaient pas encore tous motorisés dans les années 1968, et bien ceux qui vivaient sur ces bateaux-là avaient une vie relativement simple et avec une hygiène de vie qui n'était pas toujours à la hauteur de celle qu'on voudrait avoir aujourd'hui ou que l'on prône aujourd'hui. Et donc, c'est pour dire qu'en fait ces personnes avaient des rémunérations qui tenaient compte de leur logement mais aussi du fait que le travail était un travail à relativement partiel, parce qu'ils n'étaient pas occupés 24 heures sur 24, ils n'étaient pas occupés tous les jours puisque les chalands, il y avait un tour de rôle, il y avait une bourse d'affrètement à Rouen à l'époque. Simplement je veux dire que, quand en 1968 les rémunérations ont été, de façon importante, augmentées, pour eux, enfin dans ce secteur-là en tout cas, compte tenu des conventions, et bien toute cette population d'employés de navigation se sont retrouvés avec des rémunérations qui ont fait que beaucoup beaucoup ont eu une hygiène de vie qui ne leur a pas permis de continuer l'exploitation des bateaux. Alors je veux dire quoi ? Je veux dire qu'en face de ces augmentations, les employeurs, les sociétés de navigation ont exigé, ont demandé en contrepartie de ces augmentations un rythme de travail plus important, et comme les conditions de vie n'étaient pas toujours très bonnes, et qu'il y avait quelques fois un usage un peu trop important de certaines boissons, et bien le fait d'avoir un rythme de vie, de travail plus important il y a eu une accidentologie très très forte, et il y a eu énormément d'accidents et de noyades. Moi j'ai ce souvenir de plusieurs accidents et disparitions liés au fait que les mariniers n'avaient pas cette habitude, cette rigueur de vie qui faisait qu'il fallait traverser les passerelles, les passerelles on pourrait vous en montrer, ça fait 30 centimètres de large, quand vous marchez dessus, la passerelle elle bouge ce n'est pas très stable, et quand vous êtes dans un état un peu léger, on a vite fait de tomber à l'eau. Alors tomber à l'eau c'était la meilleure chose qui pouvait arriver, la pire des choses c'était de tomber dans le bateau. Le bateau il fait quand même 5 mètres et une chute de 5 mètres sur des cornières ou sur des poutres en bois, c'était en général dramatique. Donc il y a ça, et puis bien entendu aussi le fait que les conditions de transport ont beaucoup changé, les bateaux ne transportaient que 200 tonnes, 250 tonnes, et sont arrivées dans les années 1965-1970 les barges, les premières barges de 2000 tonnes. Ce n'était plus des remorqueurs, c'était des pousseurs. Donc on a eu toute cette évolution-là. Et en fait le chantier lui il a fini d'exister dans les années 1968-69. En fait, alors je parle des événements sur l'aspect humain pour l'aspect humain, mais bien sûr aussi il y a eu les conditions, l'évolution des conditions des transports qui ont fait que les petits bateaux n'avaient plus la rentabilité, il y avait plus de rentabilité et il fallait des grosses unités pour avoir une rentabilité intéressante. [29:28] Ces barges-là, pour beaucoup elles ont été construites dans les pays où la navigation est restée importante mais avec des grosses unités et notamment le Rhin ou l'Escaut, et en fait, on est plutôt dans les pays du Nord. Donc ces grosses barges-là sont beaucoup venues de Hollande, d'Allemagne du Nord ou de Hollande, et les premières barges que moi j'ai vu arriver sur la Seine, que que mon père, enfin que l'entreprise de mon père avait fait venir, avait fait construire et qui sont arrivées par la mer au Havre, parce que le canal il n'existe toujours pas du reste, pour venir directement le nord de l'Europe à Rouen sans passer par la mer, ce n'est pas encore construit. On en parle, mais ce n'est toujours pas fait. En fait, la barge est venue par la mer au Havre. Et donc elle est arrivée dans les années 1969-70. C'est la première barge qui est arrivée. Après il y a eu le transport, dans ces barges-là il y a eu le transport du charbon, des voitures (longtemps le trafic entre la région parisienne, Renault enfin les constructeurs automobiles Renault avaient des barges à deux étages où il y avait des voitures, il en est coulé une une fois avant Le Havre). Donc tout le transport s'est fait avec ces barges-là. Et puis après des containers, il y a eu aussi ces containers. Quand même, tout près d'ici, de Pont-de-l'Arche, il y a Elbeuf, et à Elbeuf il y a toujours l'école, enfin ça ne s'appelle l'école, ça s'appelle l'Institut de la navigation, mais il y a toujours un institut de formation des mariniers, donc les jeunes qui voudraient faire cette carrière professionnelle-là ils peuvent toujours le faire, ça existe toujours bien sûr. Ce ne sont plus les mêmes unités de navigation, ce ne sont plus des petits bateaux, ce qu'on appelle les 38 mètres 50, ce sont des barges avec des pousseurs, mais cette école-là les forme de façon importante également, et efficace.

Mots-clés et témoignages associés

En cliquant sur un mot-clé, vous lancez une recherche de celui-ci dans le recueil.

Communes
Igoville
Pont-de-l'Arche


Périodes
Entre-deux guerres
Années 1950
Années 1960
Années 1970


Thématiques
Batellerie
Crues, inondations
Economie, commerce, industrie
Eure
Navigation
Ouvrages d'art
Qualité de l'eau


Voir aussi
Témoignage de Mme Annick LACHNER-GAUBERT, habitante d'Igoville, propriétaire de l'ancienne usine électrique

Témoignage de Mme Janine LEMERCIER, native et habitante de Pont-de-l'Arche

Témoignage de M. Guy LETOURNEUR, natif et habitant de Pont-de-l'Arche ~~ Mme Denise LETOURNEUR, native et habitante de Pont-de-l'Arche

Témoignage de M. Yvon WENDEL, natif et habitant de Pont-de-l'Arche

Retour  en haut