Témoignage
M. Sylvère LESAGE
ancien batelier
Vidéo
Piste audio
Transcription
Cliquez ici pour afficher / masquer le texte
[00:13] Je m'appelle LESAGE Sylvère, je suis ancien batelier. J'ai commencé à 16 ans, avec une de mes sœurs qui était 2 ans plus âgée que moi. C'était sur une péniche en bois, je ne savais pas au début comment la charger, j'ai fait appel à mon père, mais après dans les années qui ont suivi ça allait beaucoup mieux. J'ai travaillé de 16 ans à 20 ans, ensuite je suis parti au service militaire et en revenant j'ai été contremaître sur une péniche en fer motorisée. Après j'ai travaillé 8 ans en tant que contremaître et après j'ai acheté un bateau que j'ai travaillé jusqu'à la retraite. C'était difficile, dans les canaux il fallait démonter la timonerie pour naviguer et pour passer sous les ponts. Après par la suite ça s'est modernisé, on mettait de l'eau dans la cale, on ne passait que la timonerie. Bien sûr on allait moins vite, on allait moins vite étant donné que ça faisait un poids à déplacer. On appelle les personnes à terre les "gens de la terre" qu'on dit dans notre métier. Et puis, je me trouvais une fois dans une écluse, le bateau était ballasté avec 100 tonnes d'eau pour pouvoir passer sous les ponts la timonerie, et puis des passants venaient nous voir, ils disaient : "Qu'est-ce que vous chargez ? de l'eau ?", je dis : "Non je ne charge pas de l'eau, c'est pour enfoncer le bateau pour pouvoir passer sous les ponts". "Ah bon ! Nous on croyait que vous chargiez de l'eau, transportiez de l'eau". Bien sûr non, on ne transportait pas, c'était pour lester le bateau quoi. Et puis d'autres, dans une écluse, les gens étaient curieux, ils regardaient par le hublot à l'intérieur du logement. Ils ne connaissaient pas les bateaux. Oui, alors "quel trajet ? quelle est votre adresse ?" et ainsi de suite, ils me questionnaient. Ça arrivait que ça se trouvait comme ça quoi. Mon bateau c'était le bateau d'un parent, je l'ai racheté, et après j'en ai acheté un deuxième en Belgique, mais je n'ai pas progressé dans la grandeur de bateau, je n'ai pas racheté par exemple un 600 ou un 800 tonnes, je suis resté avec mes deux bateaux, 350-390 tonnes, 38 mètre 50 de long sur 5 mètres de large, pour pouvoir aller dans les canaux. J'ai conduit avec mes enfants quoi, j'aimais aussi bien naviguer en canal qu'en rivière. J'aimais bien changer quoi. La navigation c'est plus calme en canal. C'est plus calme, on marche à 5 à l'heure. On ne peut pas aller plus vite étant donné qu'il n'y a pas de profondeur, tandis qu'en rivière... et puis on tournait moins fort parce que ça ne servait à rien de tourner fort, l'affaissement de l'eau ça faisait baisser l'eau dans le canal et on n'allait pas plus vite, alors il fallait tourner à un certain régime, tandis qu'en rivière on pouvait tourner au maxi un peu moins quoi. Mais on marchait à 10, 10 et demi, 11 à l'heure. Il y a une différence.
[04:16]
Les chargements
Au début c'était des petits voyages, des petits transports, mais ensuite on a fait l'exportation, la Belgique, la Hollande. Au début c'était le charbon et les sables, et après ça a été les céréales et les engrais. Par moments on chargeait même le dimanche pour débloquer les silos au moment des récoltes. Ils étaient débordés par le magasinage alors on chargeait aussi bien les jours de fêtes que le dimanche, au moment de la récolte. Après ça s'échelonnait. Par exemple, un chargement qui se passait dans le canal du Centre donc c'est dans le Cher, on chargeait à La Chapelle-Montlinard ou à Saint-Satur pour la Hollande, pour Rotterdam ou Amsterdam. Il nous restait quatre jours de canal pour venir rejoindre la Seine à Saint-Mammès, après c'était la Seine, après c'était l'Oise, après c'était le canal du Nord, après c'était l'Escaut français, après ça atteignait au bord, à la frontière hollandaise, on faisait des bras de mer pour aller à Rotterdam ou à Amsterdam. Après le voyage était terminé et on attendait un transport, n'importe quel transport, soit de l'engrais ou n'importe quoi. Sur la Seine oui j'ai chargé beaucoup, à Bray-sur-Seine, à la Ferté-sous-Jouarre, à Château-Thierry, à Gennevilliers, aussi Montereau pour Rouen, pour Le Havre aussi vider pour Le Havre. Les céréales, le blé partait du moulin de Dakar, on appelait le moulin de Dakar, ça partait pour l'Afrique quoi.
[06:35]
Les intempéries
C'était, tout en travaillant, c'était, on découvrait du pays quoi. C'était agréable, sauf que l'hiver, le moment des classes, ainsi de suite, ce n'était pas plaisant, et puis aussi des crues dans les rivières, pas les canaux bien sûr mais dans les rivières. Des fois, il fallait attendre, une rivière en crue par moment la navigation était arrêtée. Il fallait attendre que l'eau rebaisse un peu pour commencer à re-naviguer. Oui les crues ça se passait comme ça. Dès que les écluses étaient inondées, ils baissaient les barrages et on naviguait sur les barrages. Ça nous permettait de pouvoir continuer notre transport, bien sûr. Après quand l'eau rebaissait ils remontaient les barrages et on prenait de nouveau les écluses, le passage par les écluses. Après, les crues, certaines rivières étaient arrêtées, mais la Seine il n'y avait pas d'arrêt de navigation. Si, dans Paris. Dans Paris, quand ça atteignait la cote de 8 mètres, même avant, ils arrêtaient la navigation. Je me suis trouvé une fois à Rouen, et on a eu l'occasion de charger du Porto en bouteilles, en cartons bien sûr, et puis en fûts, pour Saint-Ouen-sur-Seine, L'inconvénient c'était que pour les bateaux de mer il ne savaient plus passer sous les ponts, l'eau et la Seine étaient trop hautes, alors étant donné que nous les bateaux sont plus bas bien sûr, on a eu l'occasion de faire ces frets-là. Si on calcule, c'est le kilomètre 242 à Rouen et Saint-Ouen-sur-Seine c'est le kilomètres, je ne sais plus... Paris kilomètre zéro à la Tournelle, à Notre-Dame, alors donc il reste, ça nous faisait environ 230 km en une journée et demie, deux jours, parce qu'il y avait la crue. Il y avait la crue on montait moins vite, il faut plutôt compter même sur deux jours. En ce temps-là c'était de 7h à 19h. Si on voulait franchir, il fallait payer une taxe à l'écluse. Ça nous était envoyé par courrier, on ne payait pas à l'écluse. Mais maintenant actuellement, on ne paye plus les taxes, c'est compris dans la taxe navigation. Maintenant c'est jour et nuit maintenant. C'était d'ailleurs, ce chargement-là de Porto, on était plombés hein, on ne pouvait pas dire de se servir. Les dockers, certainement qu'ils se sont servis, ils ont ouvert un carton et l'ont refermé. 10:25 Un souvenir aussi, traverser la Hollande et le porte-drapeau qu'il est gros, avec la gelée, même l'eau salée, tout le porte-drapeau était énorme, le porte-drapeau à l'avant c'est un petit drapeau pour voir le sens du vent. Ils n'appellent pas ça un drapeau ils appellent ça une flamme. Pour décharger Amsterdam, il a fallu casser la glace avec un marteau sur la bâche parce qu'on avait bâché, la réglementation exactement c'était de bâcher du devant au derrière pour traverser les bras de Zélande, les bras de mer. Pour préparer pour le déchargement il a fallu casser la glace avec un marteau sur les plats-bords et puis sur la bâche, que d'ailleurs on n'a pas su plier, on l'a jetée à terre, et puis on a commencé à décharger le bateau quoi. Ce n'était pas simple, je vous dis, c'est pour ça que je vous ai dit que l'été c'est plaisant mais l'hiver... Les crues et les glaces... si bien en rivières que dans les canaux. Les canaux quand il y a de la glace on est arrêté. Sur la Seine non, quand il y a de la crue, il y a les barrages couchés, il y a du courant ça ne gèle pas, bien que ça arrive, de la glace pilée qui remonte du fond de la Seine. Ça arrivait, la Seine a gelé quand même. Ils couchent les barrages pour pas qu'ils soient emportés par les glaçons, les gros glaçons. C'est arrivé, je ne sais plus en quelle année, oui ça m'est arrivé aussi de finir de casser des biefs en canal, mais pas trop épais par ce que ça abîme le bateau. On n'est pas des brise-glaces. Oui l'histoire des glaces c'était pas plaisant. Et puis on était artisans, le fret, il n'y avait pas d'argent qui rentrait. On était bloqués.
[13:13]
L'avarie du porte-conteneurs
Au sujet du porte-conteneurs, du bateau fluvial, c'était un bateau fluvial, ça fait bien trois-quatre ans. C'était un mauvais arrimage, arrimage de conteneurs certainement, parce que quand il y avait des conteneurs vides ils chargeaient, mais ils chargeaient dans le fond, pour ne pas que ça se balance. Et certainement qu'ils ont demandé au départ : "Est-ce que vous pouvez nous prendre un conteneur chargé ou deux ?", et ça a été mis dans le haut. Et même il s'est fait arrêter par la police fluviale pour pouvoir ballaster pour l'enfoncer le bateau pour qu'il balance moins. Il a su, sans inconvénient, partir de Gennevilliers jusqu'à Herqueville, et à Herqueville pourtant il n'y avait pas de virage c'était une ligne droite, et le bateau s'est mis à partir ils ont perdu des conteneurs. La navigation a été arrêtée deux jours. Il y avait plusieurs conteneurs de céréales, ainsi de suite, tout ça était foutu. Le bateau n'a pas coulé, il a penché, il a perdu, il a repenché dans un autre sens et il a perdu les conteneurs. Il y en avait de partis dans le bras de Connelles, dans le bras de navigation. C'est pour ça il a fallu arrêter la navigation. Ils ont fait appel des biques, des biques c'est des crues sur des pontons, pour repêcher les conteneurs, ils ont fait appel à la Belgique même. C'est venu de la Belgique. Parce qu'en France on n'a plus beaucoup de dragues et d'engins flottants avaries comme telles? La Hollande et la Belgique sont plus outillées que la France.
[15:34]
Batelier aujourd'hui
Ma fille elle a commencé, mon gendre avait un bateau de 600 tonnes, un bateau en fer motorisé, et puis après son père lui a vendu le deuxième bateau à 800 tonnes. Ils ont voyagé seuls avec chacun un bateau, mais des petits transports Nanterre-Poissy, c'était de la terre, c'était des creusements pour des tunnels ainsi de suite. Alors ils chargeaient de la terre. Ils chargeaient le matin, le soir il était vide. Et puis maintenant ils ont un bateau de 110 mètres de long qui fait les conteneurs, Le Havre-Gennevilliers. Le Port 2000, ils n'ont pas le droit d'aller à Port 2000 malgré que leur bateau était super équipé. La Commission maritime ne voulait pas qu'il aille à... Donc il a revendu son bateau. Il avait été construit en Hollande, il a voyagé dix ans avec et il l'a revendu à un Hollandais. Il a fait reconstruire un bateau en Roumanie, qui a été bien sûr que la ferraille et tout il a été agréé à Dordrecht, près de Rotterdam. Motorisation, vaigrage, isolation, électricité, pour pouvoir aller à Port 2000, mais avec maintenant des agrès supplémentaires : au lieu de deux radars il y a trois radars, il y a des mains courantes, il y a aussi s'il vient à couler, les cuves à gasoil se ferment. Toutes les précautions, les sécurités. Les fenêtres de la cabine ne s'ouvrent plus, elles sont fermées et c'est la clim qui a remplacé pour pouvoir donner de l'air quoi. Et puis des trucs, par exemple une échelle de corde, comme un navire, pareil c'est une sécurité. Une sortie du logement par une trappe à l'avant fermée : si le bateau vient à couler ou se pencher, les matelots peuvent sortir. Tout cela ça n'existait pas, alors c'est des sécurités supplémentaires.
Mots-clés et témoignages associés
En cliquant sur un mot-clé, vous lancez une recherche de celui-ci dans le recueil.
Communes
ConnellesHerqueville
Saint-Pierre-du-Vauvray
Périodes
Années 1950Années 1960
Années 1970
1980 à nos jours
Thématiques
BatellerieCrues, inondations
Voir aussi
Témoignage de M. Robert ALLARD, ancien marinier ~~ M. Roger BRISSET, ancien marinierTémoignage de M. Simon DOURLEN, ancien marinier ~~ M. Kléber PREVOT, ancien marinier ~~ M. Daniel RAVIART, ancien marinier
Témoignage de Mme Rolande LESAGE, ancienne marinière