Témoignage

M. Jean-Claude GIBERT
ancien conducteur des voies navigables aux Ponts et Chaussées de la navigation de la Seine (1957-1995), subdivision d'Amfreville - Poses

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Mon identité : Jean-Claude GIBERT. Je ne sais pas si je dis mon âge maintenant ? Oui, allez : 83 ans. Comme Jacques Brel... Je suis entré aux Ponts et Chaussées de la navigation de la Seine le 20 juin 1957\. Subdivision d'Amfreville - Poses. J'étais agent auxiliaire jusqu'en 1960, où j'ai passé le concours externe de conducteur des voies navigables. Ce n'était pas pour conduire, c'était un grade qu'on appelait aux routes Conducteur des TP, des travaux publics de l'État, quoi. Et j'ai été affecté, dans cette subdivision, dans le secteur Pont-de-l'Arche - Cléon. Sur la Seine. C'est-à-dire carrément dans la section fluvio-maritime, soumise à l'influence des marées. J'ai d'ailleurs participé à la reconstruction en 1961-1964 du pont-route Jean-Jaurès à Elbeuf. Un beau pont de 800 tonnes d'acier. Et puis aussi la traversée à un moment donné de l'autoroute A13, en partant de la rive droite c'est à Sotteville-sous-le-Val au PK 211.100 (point kilométrique), et ça allait de l'autre côté sur le département de l'Eure sur Criquebeuf-sur-Seine. Et puis il y avait toujours les sondages, les dragages, il y avait des constructions importantes d'opérées puisqu'on arrivait à faire une voie sur berge, pour toute la traversée de l'agglomération elbeuvienne, moi c'était depuis Caudebec-lès-Elbeuf, Elbeuf, en allant vers Orival, tout ça... Et puis à Cléon aussi, on a fait un perré de 705 m linéaires pour lutter contre l'érosion des berges en fait, et assurer la stabilité du chemin de halage qui était classé dans la voirie communale. Donc c'était bien ça déjà. Puis je m'occupais de différentes choses, j'étais assermenté devant les tribunaux d'instance d'Évreux et puis de Rouen, chargé de la police de la navigation, chargé de la police de la pêche professionnelle et amateur, et puis de la chasse au gibier d'eau, c'était à l'époque où on donnait des cartes individuelles comme ça, chaque année on en donnait plusieurs centaines, pour des lots qui étaient distingués bien sûr. Je faisais aussi beaucoup, et c'était presque le boulot principal, c'était l'exploitation disons du domaine de l'État, c'est-à-dire la location (l'amodiation, on dit) des berges de la Seine. Il y avait beaucoup d'hectares de terres du domaine privé de l'État aussi qui étaient loués en pâturages ou en labour, il y avait tout ça, j'en oublie tellement... Je faisais le recensement aussi du personnel navigant et puis surtout, il y avait un marégraphe que je surveillais sur le plan hebdomadaire au champ de foire d'Elbeuf, je m'en souviens très bien, qui me donner des cotes précises justement, et un gros problème, il n'aurait pas fallu que je l'oublie, c'est quand il y a eu des crues très importantes. Je me souviens, moi, de 1970\. Celle qui doit être la première crue importante après la guerre de 1939-1945, c'est 1955, et je crois que la deuxième c'est 1970. J'ai le tableau, là, de toutes ces crues avec les cotes exactement. Et c'était d'une importance capitale. Je travaillais en liaison avec les pompiers et la gendarmerie, en nombres de sorties pour par exemple à Cléon, permettre aux ménagères d'aller faire leurs courses et les gosses à l'école, etc. à surveiller de très près. Puis au point de vue navigation aussi, qui était arrêtée quand ça passait par-dessus les quais, suivant les points... Le recensement du personnel navigant, qu'on faisait avec les gendarmes tous les ans ou tous les deux ans... Et les occupations temporaires du domaine public, je disais, c'est le point le plus important. Je tapais à la machine, moi, à l'époque, comme une dactylo. C'est la location des produits excrus dans les berges par exemple aussi, il y avait des coupes de bois, il y avait des pontons, des appontements, des prises d'eau, des déversements aussi des eaux usées ou pas... Il y avait les eaux pluviales et ménagères par exemple. Il y avait beaucoup à faire. J'en oublierai toujours... Il y a eu aussi la création à un moment donné des zones des sports... des sports de l'eau. Zones de sports motonautiques par exemple, ou canoë, etc. J'ai beaucoup travaillé là-dessus à cette époque. Et en 1969 j'ai été promu Conducteur principal des TPÉ, et en 1972 avec effet rétroactif à partir du 1er janvier 1970 et j'ai fini ma carrière comme ça, j'ai été promu assistant technique des travaux publics de l'État, c'est-à-dire le bras droit du subdivisionnaire, pour les ouvrages d'Amfreville - Poses. Je me suis retrouvé dans un bureau jusqu'à mon départ le 5 juillet 1995 à la retraite. J'ai aussi fait beaucoup, il ne faut pas que j'oublie, comme assistant technique, c'est que j'ai appris et j'ai fait des marchés d'appel d'offre. Il y en avait beaucoup, que ce soit pour les collectivités locales, disons les communes, les départements, beaucoup les départements, l'Eure et la Seine-Maritime chez nous. Et puis les marchés de l'État bien sûr. Le suivi des marchés de l'État en matière de comptabilité, c'est-à-dire dresser les situations mensuelles, etc. jusqu'à la réception provisoire et la réception définitive qui nous soulageait. Il y avait vraiment un décompte général des travaux, c'était formidable. J'en ai fait beaucoup, hein, vraiment beaucoup. Toutes les vannes, le barrage lui-même, les écluses, etc. Mais c'était passionnant. Nous étions une famille de dix enfants, cinq gars, cinq filles, et, bah, je n'ai pas fait d'études... J'ai fait les études tout seul. Mais il y a eu des fuites, et c'est comme ça que ma vie a été sauvée. Je suis entré en 1957, et ça doit être en 1958, dans le courant de l'année, Monsieur Courtois qui était maire de Poses mais qui était ingénieur subdivisionnaire, m'a convoqué avec mon père qui s'occupait du personnel, lui, et qui m'a engueulé... "Tu as dû faire des bêtises, tu vas être éjecté... Viens on est convoqué au bureau du patron". Je lui dis "Je n'ai rien fait, Papa", mais il m'aurait bientôt bouffé. J'avais 23 ans. Je suis rentré, Monsieur Courtois dit "Bah Jean-Claude, asseyez-vous, Monsieur Gibert aussi". Il dit "Alors, Jean-Claude, on fait le petit cachottier, on fait des études et on n'en parle pas ?" C'est mon père qui me les avait payées. C'est très dur à faire quand on n'a pas de prof en face de soi. Puis j'étais marié, avec 2 enfants. Technologie pratique, générale, les maths, comme d'habitude et tout ce qui s'ensuit quoi. Et puis, ma foi, il m'a dit "Écoutez, il y a le titulaire qui se trouve Elbeuf, comme conducteur des voies navigables, qui s'en va dans le département de l'Hérault. Eh bien, vous allez rendre votre caisse à outils, enlever votre bleu de travail. Mettez une chemise et une cravate et puis vous allez y aller deux fois la semaine, vous mettre au courant. Par contre, je vais vous faire assermenter, mais vous allez me faire une attestation comme quoi vous vous engagez à passer le concours mais si vous ne l'avez pas, vous dégagez, hein". Alors j'ai bossé encore plus. Mais j'ai pleuré souvent. Puis ma foi, l'année 1960 ça a été la victoire. J'étais dixième en France. Pour moi, c'était bien. Et puis en 1969, ce n'était pas un concours, c'était un examen professionnel (ce n'était pas tout à fait l'appellation) pour passer conducteur principal. Ça se passait à Grenelle. On avait le plan d'une ligne de chemin de fer. Puis un beau jour je reçois tous les résultats, un coup de fil. D'abord je n'ai rien cru, hein, je vous le signale, je n'ai rien cru. La secrétaire du patron qui me téléphone vers 11h du matin, qui me dit "J'ai une nouvelle énorme, énorme : vous êtes reçu premier, en région parisienne". Je lui dis "C'est une blague ou quoi ?" Elle me dit "C'est pas une blague, vous êtes invité à venir prendre le champagne"... J'ai eu un beau départ en retraite, avec beaucoup de choses. Puis je me suis mis à la Batellerie en 2001. Monsieur Labrouche aurait bien voulu que je vienne avant, bon, c'est comme ça la vie... Maintenant je suis un électron libre.

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Une carrière mouvementée

Très humain avec les mariniers. Je n'ai pas eu une seule histoire. C'était l'époque. Mais j'avais même des copains qui étaient par exemple chirurgien-dentiste, un docteur, qui me dit "Si un marinier a un problème", parce qu'il y en a qui arrivait le soir pour s'amarrer à 22h, qui venaient du Havre, Tancarville ou autre, il me dit "tu viens". La dame, elle était enceinte, pouf, et puis l'autre, il avait les joues comme ça là, gonflées, alors ça marchait à tous les coups. Je faisais partie d'un grand club de voile, une fois il y avait même 102 bateaux au départ, je me rappelle, les régates de la laine à Elbeuf, et moi je faisais la police pour faire traverser la navigation fluviale à travers tout ce rideau sans causer d'incident. C'est comme ça qu'on se connaissait tous, les gars qui travaillaient dans le civil, moi, je suis ingénieur là, l'autre là, contremaître ou autre... Et ça passait, hein... J'allais aussi à la bourse d'affrètement de Rouen, qui a été supprimée en l'an 2000 en France, mais sinon pour organiser les voyages, le transport fluvial disons, aussi bien à l'intérieur de la France, qu'à l'extérieur, ça peut être en Belgique, en Hollande, etc. il y avait les voyages, la mise en tour qu'on appelait ça. Et puis aussi avec les gendarmes, j'ai fait beaucoup de choses. On est allé voir aussi, je ne le savais pas, des gangsters ! Ah oui, j'aurais pu être tué, hein. Il y en a même un, sur un terrain de l'État il avait mis pas loin de 100 voitures, des épaves, et puis moi j'ai mis un avertissement de grande voirie pour déménager tout ça, alors on m'a dit tu vas te faire zigouiller. Mais alors les gendarmes le disaient : "Tiens, il est marqué à l'encre rouge", puis les policiers pareil. Et puis on s'est retrouvé au tribunal administratif. Je n'ai pas parlé parce que le procureur m'a dit je m'occupe de sa tête. Puis après on a dit c'est renvoyé aux calendes grecques pour la sentence par exemple. Je n'avais jamais entendu parler de rien en plus... Il m'a rattrapé dans la rue, il me dit vous avez bien fait votre boulot. Bon. Puis des mois passent, je n'en entends plus parler, c'est vrai... Et je vais dans un café avec un copain qui était accordéoniste, un crack. Et il y avait 7, 8 clients. Puis d'un seul coup il y a un gars qui se penche : c'était le fameux gangster, qui dit au patron mettez-lui un verre. Incroyable, hein ? Mais il y en a eu d'autres, où j'ai été mis en joue. Carrément, les gendarmes avec moi. Parce que les gendarmes me téléphonaient, le patron de la brigade fluviale, qui est un copain en or, il me disait : "Il faut que tu viennes avec nous, je ne peux pas monter à bord comme ça." Le gars, il sortait avec son fusil, il commençait à pointer. On était quatre, trois gendarmes et moi. "Je vais me foutre en l'air", tout ça... alors une heure de discussion pour le désarmer... Après c'est la femme qui pique sa crise de nerfs, qui sort avec un autre fusil... Elle, encore pire alors... On arrivait à mettre tout ça. Mais souvent le parquet m'envoyait par exemple une fois dans l'année ou deux fois, trente ou quarante procès-verbaux pour avis. Voilà, je mettais un avis comme ça, pour le service. Évidemment pour l'OPJ, l'adjudant de gendarmerie qui s'est fait insulter faut voir comme, j'ai été obligé de mettre un avis pour que l'autre soit puni quand même. "Oh qu'est-ce qu'il m'a mis, qu'il disait... Tu te rends compte ? Moi, OPJ... Il m'a traité de XXX". Ah, c'est pas vrai, tout ça... [12:45] Oh, il y a eu des drames aussi dans le boulot. Des copains qui sont noyés, pendant le service. En aval, là, en faisant des sondages au mois de juin 1958\. Il y en a un qu'on avait embauché, il l'avait remplacé son père qui avait été tué un coup de manivelle sur le barrage. Sur la tête. Et puis l'autre, c'était un pupille, enfin il croyait qu'il n'avait pas de famille et il venait de la retrouver au même moment. Puis ils meurent tous les deux. On les a repêchés une heure après, trop tard. C'est un bateau qui a entraîné le câble. Ils faisaient des sondages, ils ont donné du mou et puis... la force du bateau qui arrivait, il s'appelait L'Ouragan  il a pris le câble, il l'a entraîné et puis ça a raidi tout, ça a arraché l'amarrage du bateau. Le bateau est parti comme ça et il leur est tombé sur la tête. On les a repêchés avec des grappins. 13:34 Puis il y a aussi des tentatives de suicide. J'en ai vu des belles. La plus belle c'est le 1er avril 1976, le jour du 1er avril, le poisson. Je quitte mon bureau à midi et demie, pas attaché tellement à des horaires, moi, avec la veste sur l'épaule, il faisait très beau. Je prends le barrage puis je rencontre une pin-up. Costume trois-pièces, tailleur impeccable. Je lui dis "Madame, qu'est-ce que vous faites là ? Vous n'avez pas le droit, vous allez faire demi-tour, puis vous prenez la passerelle publique qui fait 600 m de long là mais celle-là, c'est réservé aux agents". "Oui Monsieur". Elle y va, bon. Moi, j'habitais la maison du barrage où est mon père comme on le voit là-bas, et puis ça me travaillait parce qu'il y avait une 2 CV au pied du barrage avec un écriteau sur le pare-brise. Il y avait marqué "Prévenir le garage Untel, un numéro... en Seine-Maritime". Bon,  Je remets la veste et puis mange pas, et je m'en vais en aval du barrage. Je vois une femme sauter du haut du barrage. Faut le faire... C'est la seule que j'ai vue comme ça. Les pieds en avant, hein. Bon, alors je guette, j'étais peut-être 50 m en aval du barrage, oui. Je ne la voyais pas émerger alors j'étais inquiet mais tant pis, je dis elle est morte sûrement. D'un seul coup elle a peut-être fait 100 m, j'ai vu une tête vraiment bien noire qui nageait. Moi j'étais rive gauche à Poses, et puis elle, elle nageait vers la digue de l'autre côté qui sépare le chenal d'accès aux écluses du barrage. Alors j'ai couru, j'ai crié fort, il y a trois, quatre copains du service qui sont venus avec moi, dont le chef éclusier. Il s'est arc-bouté, nous aussi, puis il est allé la chercher, elle était arrivée à 10 m du bord, la bouche grande ouverte et à chaque fois qu'il y avait la turbulence du barrage qui s'éteignait petit à petit, toc l'eau lui arrivait encore dans le gosier. Alors on l'a brancardée comme il faut. Il y avait deux médecins par hasard, qui mangeaient là où se trouve la guinguette maintenant (à l'époque ce n'était pas la guinguette). Et puis elle n'avait grand chose, elle ne s'était pas fait mal, à part les bas qui étaient en morceaux... le collant... Puis des éraflures. Donc les pompiers l'ont emmenée, quoi. Alors les gendarmes... Là, ça vaut le coup... La limite de canton passe dans la passe numéro 4 du barrage de Poses. Rive gauche, rive droite séparées. Alors il y a le premier adjudant qui arrive, il fait son enquête, le pauvre gars. Je lui dis il faut qu'on aille voir la voiture de l'autre côté. "Attendez, je regarde : Oh c'est pas chez moi ! qu'il dit, Je peux me servir de votre téléphone ?" Je luis dis oui, il appelle son pote de l'autre côté et il lui dit "C'est à toi, Gaston, allez hop ! Moi, je me tire." Alors j'attends encore une demi-heure, les voilà revenus. Deux gendarmes simples et l'adjudant. Je leur dis "Écoutez on va commencer par autre chose : il y a une 2 CV au pied du barrage". Alors on a traversé et puis il y avait le sac à main de la dame qui était sur le siège avant droit, sur le siège du passager. Il me dit "Oui mais on n'a pas le droit d'ouvrir les voitures". Bon... je croyais que les gendarmes avaient le droit moi. Alors il me dit "Non, il faut un délégué de la sécurité routière" mais j'avais un copain qui l'était, à 3 km de là il tenait un garage. Je l'appelle, je lui dis "Gilbert, tu viens à fond de train", il me dit "Oui, pas de problème". Il est venu. Il a ouvert. Ils ont pris le sac à main, ils renversent le truc, il y avait un petit carton dedans (le sac est plein, comme souvent les sacs de dames) : "Mon chéri tu ne m'aimes plus, j'ai du pognon, je te mets un mandat à la Poste de Poses, parce que l'argent c'est précieux, il ne faut pas le gaspiller..." Bon, on retourne au bureau, le gendarme avait noté le numéro de téléphone qui était sur le pare-brise. Il appelle le gars. Le mec il dit "Bonjour Monsieur, Gendarmerie nationale. Vous avez vu votre dame depuis ce matin ? On l'a repêchée dans la Seine". "J'en ai rien à foutre ! Elle m'a escroqué de 30 millions, elle aurait pu y rester où elle est". Alors moi j'ai vu les gendarmes pliés en deux, hein. Parce qu'ils ont raccroché, mis pliés en deux. C'est incroyable. [17:20] Mais j'en ai vu par contre, j'ai vu une jeune femme qui avait perdu son mari qui était sapeur-pompier sur la rive droite de la Seine. Il s'était noyé en vacances en Espagne. Elle s'est tuée. Oh j'ai vu la voiture descendre à une vitesse incroyable. La berge était à un mètre au-dessus de l'eau, poup ! le nez dedans. Elle a tapé au carreau pour sortir mais trop tard. Il y a des bateaux qui arrivaient dessus d'ailleurs. On a pris une chaîne, on a attrapé la voiture assez vite. Le temps que les pompiers arrivent, ils l'ont remontée, mais elle était passée sur le siège arrière gauche, les deux jambes sur le côté conducteur, morte. Mais il y en avait tout le temps ! Jusqu'à un agent de police à Elbeuf, qui n'était pas bien vu par personne, je ne sais pas ce qu'il avait fait, mais il a posé son vélo dans le haut du pont (il y a un pont suspendu là-bas, qui s'appelle le pont Guynemer), il pose le vélo le long du trottoir et pouf ! il s'est flingué à l'eau. De dix mètres. Il y a une autre femme, là, c'est pareil, elle se flingue... Elle était assise sur le bord du quai avant de sauter, et elle enlève ses chaussures. Je lui dis "Pour quoi faire ? Vous aurez les pieds mouillés quand même". Elle s'est laissée aller. Il y en a une autre, il y avait un gars avec moi, qui était très adroit, qui était chef d'équipe. Il casse un carreau de boîte à bouée et il attrape la couronne. Il la jette sur le ventre de la dame. Elle a dit non, je me laisse mourir. Bon... bah... 18:39 Par contre il y avait des accidents. Le gars qui embarque, un marinier... Le bateau s'appelait Le Nid d'amour. C'est le soir, le capitaine amarre le bateau et le gars dit on est en ville, je vais faire les courses. Il prend son sac et le voilà parti. Le lendemain matin, quand le patron veut remettre en route, eh bien il n'y avait pas de matelot : il était tombé sous le bateau. Suivant l'heure à laquelle il est rentré, quoi. Oh il y en avait toutes sortes de choses. 19:05 C'était Jean Lecanuet qui était venu, il était Garde des Sceaux à l'époque. Ce qui fait que je me suis retrouvé à côté de lui, j'essuyais les discours. Et puis j'ai été invité à manger. Oh, ça arrivait souvent, ça faisait partie du métier. Couper le ruban. Dans la subdivision, aux ouvrages d'Amfreville, parmi les plus anciens on n'est plus que trois. Tout le monde a disparu. Nous sommes en visite à bord du Midway, qui est le musée de la Batellerie de Poses, de l'association de la Batellerie de Poses, qui est un ancien chaland.

[19:46]
Historique du barrage de Poses

La Seine est utilisée comme voie commerciale avec certitude depuis 2000 ans, période pendant laquelle la principale technique de navigation était le halage soit par des hommes, soit par des chevaux, selon l'époque. En effet, la motorisation des bateaux ne remonte qu'à environ 170 ans (quand il a écrit ça, bon). Ah Monsieur Labrouche, qui était un as, hein. Avant les premiers ouvrages, le pertuis de Poses. Avant 1852, date de la construction des premiers ouvrages sur la Seine à Poses, le fleuve dans son état quasi sauvage présentait des difficultés majeures de navigation, notamment à Poses, célèbre par son pertuis. Certains aménagements sommaires réalisés en 1749, 1795 et 1839 étaient la construction de perrés de pierres perpendiculaires aux rives, qui assuraient une certaine retenue d'eau mais renforçaient les courants. Le pertuis de Poses, avec ses faibles hauteurs d'eau, avec une pente forte (1 m 40 de dénivelé sur 3 km environ) rendait la remonte des bateaux fort difficile et de longue durée, très dangereuse et très onéreuse. La descente n'était pas non plus exempte du danger, loin s'en faut. Au XVIIIe et au début du XIXe siècles, où la navigation n'était possible que moins de six mois par an, et 80 % des transports se faisaient par voie d'eau, ce pertuis avec un impact négatif sur le commerce de l'époque, d'où l'idée ancienne de l'aménager, voire de le supprimer. Le premier texte émanant de l'État abordant ce problème est un arrêté du Comité des travaux de la Convention nationale du 28 Floréal An III, c'est-à-dire le 14 mai 1794, qui stipule notamment dans son arrêté que la Commission des travaux publics prendra sans délai les mesures nécessaires pour perfectionner la navigation de la Seine de Paris jusqu'à Rouen, principalement au passage de Poses. Pendant une soixantaine d'années, de multiples projets pour supprimer ce pertuis sont envisagés. Les uns très élaborés et avancés, les autres ébauchés, parfois irréalistes. Dans un texte de 1812 est développée une analyse des projets proposés il y a plusieurs années pour l'amélioration de la navigation depuis Porte-Joie jusqu'au dessous de Poses. Trois projets proposés qui tous évitent le pertuis de Poses sont relatés dans le Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts du département de l'Eure, 1822. Alors, cinq projets sans suite, je passe. Ils étaient sans suite parce qu'ils étaient irréalistes, ils étaient onéreux, tout ce qu'on veut. Cela coûtait extrêmement cher d'après ce qu'on voyait... Un projet fort avancé qui n'aboutira jamais par exemple : le canal de dérivation de Poses. Autre projet entre 1820 et 1849, toujours rien. Pour faire Paris port de mer...

[22:26] Un projet enfin mené à son terme. Une loi du 31 mars 1846 autorisa d'immenses travaux sur la Seine et fixa la dépense à 10 million 300 000 francs. Le mouillage était porté à 1 m 80, le tirant d'eau à 1 m 60. En 1849 fut enfin approuvé par les services de l'État le projet d'écluses et de barrage à Poses, figurant dans un mémoire rédigé le 2 juin 1849 par Monsieur Legrand, ingénieur à Pont-de-l'Arche. Voilà le type de premier barrage de Poses, mis en service au mois de juin 1852. C'était sur l'île qui est ici en face de nous, ça s'appelle l'île du Trait. Et ça a été fait, le barrage, sur la pointe amont de l'île du Trait, juste là à quelques centaines de mètres, peut-être 400, 500 en gros. Ça s'appelle le bras d'Anet à Poses ici. Maintenant il est fermé à la navigation commerciale puisque quand les barrages, les écluses ont été établis, ils passent en rive droite de la Seine, dans une dérivation éclusée qui a été aménagée pour, et qui mène directement aux écluses. Donc ils ont chacun leur circuit, là c'est la navigation de plaisance plutôt qui l'emprunte. Alors, c'était une structure métallique, on appelle ça des fermettes entretoisées, et qui en période printanière et estivale, c'est-à-dire hors crue, était manœuvrées à la main. Pour le système de bouchure, c'était des aiguilles, posées côte à côte, comme on le voit sur les photos, là. Vous en avez une vraie au-dessus de la tête. C'était extrêmement lourd pour les manœuvrer à la main. Évidemment les gars les mettaient comme ça côté amont, posées sur le fleuve, puis tac, ça venait se coller avec le courant. Et des fois ça emmenait l'homme, c'est arrivé quelques fois, ou alors les aiguilles leur échappaient des mains et partaient dans le courant ou coulaient, etc. Ils appelaient ça du yellow pine, pitchpin, surtout pas de chêne. Et c'est très lourd. On peut toujours ajouter peut-être qu'en période de crue c'était le barrage démontable d'immobile, les barragistes devaient enlever progressivement les aiguilles, le plancher pouvait être ôté, les fermettes couchées dans l'eau entraînant sur leur base, le barrage disparaissait , il était dit "au clair", permettant ainsi le passage des bateaux comme au temps où la rivière était libre. Le premier barrage à aiguilles, le barrage d'Anet en fait, mis en service en 1852, était à la pointe amont de l'île du Trait. Mais il y avait plusieurs barrages : il y en avait trois. Parce que de l'autre côté on était déjà avec un décalage par rapport à la pointe, c'était sur Amfreville. C'est pour ça que les bateaux, depuis, ils ne passent plus par là du tout, depuis que les ouvrages ont été créés, ils passent carrément dans la dérivation éclusière, rive droite. Au début, il n'y avait qu'une écluse. 25:06  De 1861 à 1866, l'administration entreprend des études afin de porter le tirant d'eau à 2 mètres entre Paris et Rouen. En 1875, un avant-projet concernant la canalisation de la Basse-Seine avec un tirant d'eau de 3 mètres, pour un mouillage de 3 m 20 est présenté par le service de la navigation de la Seine.  Et 1878 est l'année décisive. Le 16 mars, la Chambre des députés adopte l'avant-projet dressé bien sûr par le service de la navigation de la Seine, par les ingénieurs qui y siégeaient. Le 2 avril, le Sénat en fait autant. Le 6 avril, il y a une loi qui ordonne l'exécution des travaux. Du 7 au 15 mai, le projet du barrage de Poses est présenté à l'administration centrale. Il prévoit que le niveau de la nouvelle retenue sera exhaussé de 20 m 76. Le 30 juillet, approbation par décision ministérielle. Le 15 octobre les travaux de maçonnerie sont adjugés, les travaux pour l'établissement du barrage sont aussitôt entrepris dans le bras de Poses, à l'emplacement qu'il occupe toujours. Les fondations du barrage de Poses sont exécutées en suivant deux modes. Culée rive droite, passes 4, 5, 6 et 7, piles 4 et 6 : dragage des graviers formant le lit de la rivière jusqu'au terrain solide (couche de craie). On immerge des blocs artificiels de manière à constituer les enceintes hors d'eau. Dans ces enceinte, on coule du béton de façon à former un revêtement de 1 mètre d'épaisseur sur leur périmètre. Les fouilles ont été maintenues à sec à l'aide des puisements, et les maçonneries des radiers de la culée et des piles exécutées dans d'excellentes conditions. La culée rive gauche, les passes 1, 2, 3, les piles 1 à 3 : leurs fondations sont effectuées au moyen de l'air comprimé et descendues également jusqu'à la craie. Pour l'ensemble, les travaux de maçonnerie  n'ont donné lieu à aucune difficulté spéciale, y compris pour l'exécution des ouvrages accessoires, c'est-à-dire les murs de soutènement, les perrés, les plateformes insubmersibles, rampes d'accès et les divers travaux de parachèvement. Une seule avarie est à noter : la perte d'un caisson d'enfonçage pour la fondation de la pile numéro 4, emporté par les eaux le 4 novembre 1882\. La superstructure, le pont métallique et le vannage. Le 28 septembre 1878, le projet de la partie métallique du barrage de Poses est adjugé. Le 28 juillet 1883, début des travaux, qui comprennent le lancement d'un pont en acier de 7 travées surmontant les passes profondes navigables numéro 1 et 2, les passes déversoir 3 et 4, et les passes profondes non navigables 5, 6 et 7\. Ensuite l'installation de la bouchure proprement dite, du système caméré. Cadre mobile : ce sont des éléments métalliques à quatre montants, suspendus au tablier du pont aval et s'appuyant sur les heurtoirs au butoir des radiers. Deuxièmement, rideau store, constitué par des lames de bois, assemblées par des charnières en bronze et lesté à leur base par un sabot en fonte. Ensuite, troc de manœuvre des rideaux et des cadres, phase terminée courant 1884, la fermeture de la retenue au mois de septembre 1885, et le barrage est entré en service le 15 octobre 1885\. Il constituait un type nouveau étudié et combiné de manière à éviter le couchage au fond de la rivière au moment des crues, de matériel sujet à se détériorer et d'une manœuvre difficile. Voilà ce que j'avais pu tire, moi j'avais fait un petit discours comme ça à l'époque. L'axe du barrage projeté, qui sera celui du barrage construit, franchit une île, l'île de la Pointe, sur laquelle avant 1880 pâturaient en été les vaches que les Posiens y amenaient en traversant à gué le bras de Seine. Cette île, dont les derniers vestiges furent dragués en 1938, a totalement disparu. Et c'est terminé en mai 1887. Ça, ça n'empêche pas d'inaugurer l'ouvrage et de le mettre en service. Il y a des ouvrages accessoires qui peuvent quand même continuer jusqu'à la réception définitive. L'idée était de concentrer les ouvrages et de les simplifier : qu'un seul garage au lieu de trois, de les placer juste à l'aval de l'ancienne difficulté qui était le pertuis, et d'augmenter le nombre d'écluses afin de favoriser le développement du trafic fluvial. Le poids de fer et de la fonte : 1 316 tonnes ; à titre de comparaison, 7 000 tonnes pour la Tour Eiffel. C'est pas mal ça, hein... Le personnel. Plusieurs centaines de personnes pendant plus de 6 ans, par exemple pour la maçonnerie, un état ponctuel du personnel l'indique : 172 ouvriers, dont 116 Français, 51 Italiens, 4 Autrichiens et 1 Belge. Les travaux de maçonnerie furent réalisés par l'entreprise Moreau-Vincendeau et la partie métallique par la société Joli et Delafoy. La durée des travaux de construction du barrage : 6 ans et demi, de mai 1879 à octobre 1885\. Le pris de revient du barrage est de 16 536 francs le mètre courant, soit 4 630 000 francs par heure. Les dépenses du budget communal de Poses en 1881 s'élevant à 7 626 francs, le prix du barrage représente en gros plus de 600 fois les dépenses annuelles de la commune. [30:13] Long de 235 m, il comprend sept passes,  numérotées en partant de la rive gauche du fleuve, et séparées par six piles de 4 m d'épaisseur. Je dirais qu'aujourd'hui, par rapport à l'époque, six passes sont toujours en eau, c'est-à-dire sont manœuvrables. Le barrage se situe à 202 km de Paris, 110 km par la route, est à 163 km de l'estuaire de la Seine (100 km environ par voie routière). Ça, c'est une carte générale. 31:07 Une autre phase, parce qu'il devenait difficile de manœuvrer les cadres en période de crue. Il doit y avoir normalement une dénivellation qui n'est pas supérieure à 20-25 cm, et je crois que c'est en 1939 qu'ils les ont enlevés. Il y avait 50 cm, ça a tordu carrément à l'équerre, à 90 degrés. Par contre il y a eu la période de guerre, c'est difficile, en 1941 donc jusqu'en 1946, la passe numéro 6 a bénéficié d'un nouveau système. C'est une vanne-toit qui est constituée par deux clapets s'appuyant l'un sur l'autre, avec sous le clapet aval un tube flotteur qu'il y a sur le raidissement là-bas, on le voit très bien. La manœuvre, c'est une application directe des vases communicants : si on ouvre un robinet entre l'intérieur du toit et l'aval, l'intérieur de la chambre d'équilibre se vide et le toit se couche, s'abaisse. Inversement, si, la vanne étant baissée, on ouvre un robinet entre l'amont et l'intérieur de la chambre, cette dernière se remplit et le toit monte.Il ne s'abaisse que quand il y a de la crue, évidemment. Voilà c'était ça. Bon, ils nous ont causé aussi quelques soucis... Je crois que c'était en 1979, qu'on ne s'en est plus servi. C'est une vanne levante, mais elle est monobloc. Ça a commencé en 1957 à changer tout, jusqu'en 1959\. On a fait la passe numéro 4, je m'en souviens bien. Et pour alléger le système, on a fait une pile intermédiaire. Les passes font 30 m et quelques, hein. Donc ce sont des vannes levantes. Un clapet en partie supérieure qui s'articule, un clapet d'1 m 20, et quand c'est période printanière, estivale, c'est-à-dire surtout période hors crue, eh bien on peut manœuvrer suivant l'importance du débit, vous pouvez fermer, vous pouvez ouvrir, avec le clapet qui fait une lame déversante par le haut. Ça s'escamote comme un rideau de théâtre l'hiver quand il y a de la crue, à partir d'un certain débit aussi. Il y en a une qui extrêmement à manipuler avec précaution, parce qu'elle fait toute la largeur de la passe, il n'y a pas de pile intermédiaire, elle est donc monobloc, mise en service en 1972. Les travaux se sont déroulés sur deux ans, de 1970 à 1972. J'ai oublié de dire, c'est important, tellement important : jusqu'en 1939, il y avait en aval de Poses un autre bief, fluvial. C'était les ouvrages de la retenue de Saint-Aubin-lès-Elbeuf - Martot, à 15 km en aval. Et évidemment, ils ont été supprimés, et la marée se fait sentir aujourd'hui encore bien sûr au pied du barrage de Poses, à 163 km de l'estuaire. Il y a deux jeux complets par jour, c'est-à-dire sur 24 heures, en théorie c'est 4 h 30 de montée et 7h30 de descente, un cycle complet toutes les douze heures. Et le marnage, disons l'amplitude entre basse mer et pleine mer, atteint couramment 2 m. Tout dépend aussi des coups de vent qu'on peut essuyer, de Nord-Ouest, également des coefficients de marée : vives eaux, mortes eaux, etc. tout joue un rôle. lors ces vannes sont très pratiques. Bon, il y a du personnel qui s'en occupe, mais enfin ça marche automatiquement. C'était le meilleur système qui pouvait exister. Alors évidemment, de 1957 à 1983, c'est ça. Et le système vanne-toit en fait, la conclusion qu'ils ont apportée, c'est qu'il n'était pas fait pour être ici. Il y en avait un qui trouvait au Tonkin, là-bas, au Vietnam, et puis un en Belgique, c'est tout, le même système.  Mais c'était pas le même traitement que la Seine. Alors c'est vrai que moi, j'ai vu une année, j'étais avec le personnel et l'ingénieur qui commandait, Monsieur Courtois en l'occurrence, le grand subdivisionnaire de chez nous, eh bien, c'est qu'en fin d'hiver, il y avait un arbre qui avait crevé le toit et qui ne voulait pas remonter du tout, forcément. Alors c'est avec des bottes de paille (on était allé en chercher 41 tonnes, je m'en souviens), et puis à la fin, ça fait comme des éponges, elle s'est relevée comme ça. Mais on était désespéré de la voir couchée et qu'elle ne veuille pas remonter, hein. Je ne sais plus combien de jours cela a mis, mais... Au début, les bottes de paille ressortaient dans le courant et partaient avalant... ensuite, c'était autre chose. C'est système de vanne-toit. On le voit couché, les unes sur les autres dans le fond, dans sa chambre de retraite, quand la vanne est abaissée, parce que là, on voit la maquette, mais ici, sur le plan, on la voit bien. Il y a toutes les années sur les plans aussi. Donc à l'heure actuelle, ce qui est bizarre, il y a quelque chose à ajouter qui ne figure nulle part, c'est que la passe 1, qui est donc HS, hors jeu disons, telle qu'elle est, peut toujours être réouverte un jour si on mettait un nouveau système neuf évidemment, je ne sais pas, c'est l'EDF qui voit ça... Et en 1939 a été condamnée dès que les ouvrages Saint-Aubin-lès-Elbeuf - Martot ont été supprimés, la marée a gagné Poses, et la passe 7 a été condamnée, à l'extrême droite, depuis cette époque. Et aujourd'hui, elle est transformée en passe à poissons. Et sur la rive gauche, près de la passe 1, on la voit quand on va là-bas, un peu plus loin que la passe 1, elle la jouxte quand même, sur la rive gauche à Poses, au-delà de la culée du barrage, il y a la passe à poissons aussi, qui a été mise en service, je pense que la centrale hydroélectrique c'était en janvier 1992, je demande même, je n'ose pas dire la date, mais je crois que c'est le 30 janvier. Janvier 1992.

[37:08]
La pêche à la grenade

Les Allemands, bah c'était un jour que, comme gamin j'avais neuf ans et demi, ici, là, peut-être à 200 m de là, hein, entre la pointe et puis oui... Et puis qu'est-ce qui arrive ? Un remorqueur, je ne sais pas comment il s'appelait, il n'avait pas de nom, apparemment. Il tirait des éléments de pont. Et l'aviation alliée qui occupait le ciel à 100%, des Hurricane, des Spitfire, des Liberator, tout ce qu'on voudra bien. Je dis tiens, ils vont nous foutre tout en l'air. Il y avait peut-être une vingtaine d'Allemands qui étaient sur les éléments de pont. Alors ils se sont arrêtés là, c'est-à-dire qu'il y a eu un incident de navigation. L'ancien barrage a dû être mal dérasé pour une partie certainement, à un emplacement précis, peut-être un morceau de pile. Le remorqueur s'est planté dessus. Alors j'entendais gueuler en allemand, c'est très guttural, ça y allait. Il y a deux gars qui ont plongé,  en petit slip comme ça, pieds nus comme les Annamites dans le Pousse Pousse. Alors, ils couraient là sur le halage, les deux gars. Donc il est arrivé ce fameux remorqueur des ponts. Alors ils ont sauté, ils ont mis les pontons, ils ont essayé de les mettre le long de l'île. Parce que la végétation est très intense en été, en mois d'août, on le voit déjà encore. Ils ont cueilli je ne sais combien de branches très feuillues bien entendu, et puis ils ont camouflé leurs éléments. Ils ont eu le temps d'amener du secours, c'est-à-dire qu'il est arrivé un automoteur que je n'avais jamais vu, qui avait je ne sais combien de chevaux, il s'appelait Anvers comme la ville d'Anvers. Et puis ils ont réussi à le sortir, le remorqueur est reparti avec les éléments, sans que les avions interviennent. Quand je pense au nombre d'avions qu'il y avait... C'était incroyable. [38:46] Et puis la dernière chose, c'est que les Allemands se baignaient ici, là où nous sommes ou un peu au-dessus, peu importe. Ils jetaient des grenades à manche, puisqu'ils avaient toujours des grenades à manche, ils tiraient dessus puis toc ! ça partait comme ça. Alors vlan ! ça tuait des poissons par centaines. Ils prenaient une grosse carpe, ils se la mettaient dans la gueule, comme ça en travers, et puis les copains ils filmaient les gars. Dix ou quinze jours après c'était les Écossais qui se baignaient là. À poil. Les Allemands, ils avaient encore un caleçon, mais eux, ils étaient à poil. Alors ils ne jetaient pas les mêmes grenades, c'était un genre de grenade quadrillée, poum ! Allez, un autre poisson ! C'était bizarre d'avoir vécu ça, hein. [39:25] Et une fois, il y avait un, je ne sais pas s'il était polonais comme ça, midforce peut-être dans l'armée allemande, Polonais ou Russe Blanc, il y avait beaucoup de Russes Blancs. Il s'amène, tout seul, on aurait pu le tuer, hein. J'étais avec Jean Jacquinot, un copain qui a travaillé avec moi aux Ponts après, puis l'allemand il dit "Moi... Moi, foutu". Parce que Jean, il lui disait, il avait 14, 15 ans, Jean Jacquinot, il lui dit "Où que c'est qu'ils sont les alliés ? Ils arrivent, oui, pour nous libérer ?" L'autre, il répondait "Paris, 7 km", mais il dit "On n'est pas à Paris, ici !" Il n'y avait pas moyen qu'il dégoise. À un moment, il dit "Moi, kaputt. Moi, bientôt marié Miss Amérique. Moi, sauvé", qu'il disait le pauvre mec, il n'avait pas de physique, il n'avait rien, le pauvre gars, il était matraqué, quoi. Oh, qu'est-ce que j'ai pu rigoler avec ça. Mais il y en avait plein comme ça. Par contre, il y avait des choses tristes. Il est descendu avalant des sacs de farine. Tout blancs. Avec l'aigle nazie dessus. La volaille. La volaille nazie. Ils descendaient, moi je croyais que ça coulait, moi. Mais non, ça flotte. Alors Jacquinot, qui avait peut-être je dis 14, 15 ans, il a pris un bachot et il est parti à la godille, parce qu'il habitait là, dans la maison du barragiste où j'étais replié avec mes parents, moi, parce que le barrage de Poses, quand il a sauté, la passe 1 après, on aurait été zigouillé ou autre. Et puis Jean, il s'en va aller chercher au moins un sac. Au même moment, les gars, ils avaient averti tout le monde à Poses. Personne ne devait se promener, il y en a qui ont été tués, hein. Ils voulaient sortir, se balader sur le halage. Tu sortais de chez toi, tu prenais une balle en pleine gueule, paf ! Alors, Ils tiraient, tu entendais zib ! zib ! ça faisait des ronds dans l'eau. Puis mon père, les mains en porte-voix (j'avais appris à Jean à plonger) : "Plonge ! Mais plonge, nom de Dieu !" Il ne voulait pas plonger, le salopard. Alors, il a plongé les pieds en avant. Comme ça c'était moins dur Il s'est abrité avec le bachot et puis le bachot, une fois qu'il a pris la pointe de l'île, il est venu par là, il a pu se sauver, puis accoster par là. Je m'en rappelle, parce que sa maman est tombée dans les pommes, on a été obligé de l'allonger, la pauvre. Elle a eu peur. Et au même moment, ce qui est bizarre quand même, hein... Il passait une Jeep sur la route. En reconnaissance. Une fois c'était une auto-mitrailleuse, alors on avait été voir. Ah bah le sous-off' il était là sur le haut de son blindé puis il baladait ses jumelles comme ça. Ils sont venus au bord de l'eau. Il y en a un qui avait un fusil-mitrailleur à la main, et les autres armés de fusils comme ça quoi... Nous, gamins, on les suivait, ils ne nous disaient pas foutez le camp, ils ne disaient rien, hein. On les accompagnait, les coups étaient rectifiés. Alors ils passaient leurs jumelles, ils disent bon il n'y a personne ça va. Et il y avait une vedette qui appartenait à la navigation de la Seine que les Allemands avaient fauchée, une belle vedette, hein. C'est le père à Hubert Labrouche qui s'occupait de la vedette, qui la conduisait, et qui faisait le mécano. Ils l'avaient mise sur la partie je vais dire continentale, ce n'était plus les îles, c'était comme là, sur la rive droite du fleuve, à Amfreville-sous-les-Monts, là, au bout de l'île. Puis d'un seul coup, qu'est-ce que je vois ? 5, 6 soldats avec le casque anglais, qui couraient. Le sous-officier je suppose, il avait un cordon blanc et son Colt à la main. Ils sautaient d'arbre en arbre pour approcher. Heureusement elle n'était pas dynamitée, ils ont réussi à vérifier tout ça. Puis c'est la navigation de la Seine quelques jours après qui en a repris possession. C'est incroyable, hein, d'avoir les soldats à l'attaque comme ça, ça fait drôle. Et encore, j'ai découvert les Anglais, encore une fois sur le bord de l'eau le matin. Je me baladais, puis j'entends de la cornemuse ! Mais quelque chose de baraqué ! Je dis ce n'est pas vrai, mais où c'est ? Je ne voyais pas bien Ils était derrière l'île, là. Alors Monsieur François, qui était une huile du pays, ancien garde de navigation et tout, premier-maître dans la Marine nationale, il a demandé l'autorisation à mon père de m'emmener. Alors, il a pris un bachot. Mon père m'a disputé un peu : "Surtout tiens toi tranquille, ne bouge pas". Allez, hop, le père François il a pris des carottes, il a pris des salades, il a pris tout ça. Nous on est parti de l'autre côté. Mais les Anglais, moi j'ai vu, ils faisaient sauter du jambon en l'air, ça sentait bon, l'autre, il faisait des omelettes... Ils ne m'ont pas donné un bout de quoi, même pas un biscuit. Lui il a eu les Craven-Virginie, les boîtes rondes loù il y avait je ne sais combien de douzaines de cigarettes dedans, du café (à torréfier bien sûr, c'était bien, du café vert), et des tas de choses. C'était chouette. Ça faisait drôle de les voir arriver là, hein. Ah au barrage, on aurait été là-bas, on n'aurait pas été bien. Le 25 août, vers 18h, toujours là-bas à la pointe de l'île, où la maison était, Monsieur François nous avait hébergés pour les dernières semaines avant la Libération, on s'évacue du barrage... D'un seul coup, j'entends pfffou !, et le ciel était bleu comme tout de suite. La colonne de fumée noire pas très large montait... Ah ! c'est incroyable. C'était ça. C'était les 9 à 10 m de la passe 1 Poses qu'ils ont fait sauter. Il est passé 16 000 véhicules. Et puis là j'ai vu des chevaux, des vaches, qui passaient à la place des câbles, tout ça était explosé, ça faisait le vide. Les pauvres animaux qui étaient tués par fait de guerre, etc. ils arrivaient là-dedans, alors nous, on était 7-8 gamins du coin là-bas à Poses, on regardait, et on voyait les panses qui explosaient. C'est incroyable, hein, des trucs comme ça, qu'on voyait. La Société des Batignolles a réparé tout ça, et les écluses qui étaient en miettes. Ils ont filé 60 et quelques prisonniers de guerre allemands, je me suis fait 3 photocopies des comptes rendus hebdomadaires. C'est les sentinelles du pays qui les gardaient. Je me rappelle, une fois, il y a un jeune Allemand, on avait un cordonnier, il avait une jambe folle, il a fait ça, il voulait étrangler le bonhomme. Il voulait étrangler la sentinelle, l'Allemand il me fait couic ! Heureusement qu'il ne l'a pas fait parce que ça ne servait à rien.

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