Témoignage

M. François FERMANEL
historien local, habitant de Saint-Pierre-du-Vauvray

Vidéo


Afficher la vidéo en basse définition pour les connexions bas débit

Piste audio

Transcription

Cliquez ici pour afficher / masquer le texte
François FERMANEL

[00:12] Bonjour, je suis habitant de Saint-Pierre-du-Vauvray depuis une quarantaine d'années, je suis riverain, je suis passionné par l'Histoire locale, et par l'histoire de la Seine par la même occasion. Du fait que je connais beaucoup les mariniers et que chacun a l'histoire de la Seine à raconter à sa façon, ce qui fait que j'ai engrangé pas mal d'informations. Et disons que je suis très heureux d'habiter ici. Alors voilà, Saint-Pierre est un village agréable, non seulement on collecte l'histoire de la Seine et rien que pour ça il y a des tas d'information que l'on est amené à connaître quand on s'intéresse à ce sujet. Si vous voulez, les mariniers ce sont des gens qui sont en retraite, le hasard les a amenés à Saint-Pierre-du-Vauvray, mais ça n'a pas été forcément un choix de Saint-Pierre, c'est parce que leur maison pouvait être au bord de la Seine et par la même occasion, ils pouvaient voir un membre de leur famille qui pilotait une péniche parce qu'ils sont tous restés dans le métier. Et puis il y a aussi l'évolution disons matérielle sur la Seine, c'est-à-dire qu'on avait des péniches de 7-800 tonnes, maintenant on a des péniches de 2400 tonnes. Depuis quelques années, c'est le tourisme fluvial qui s'est énormément développé. Donc on a une espèce de mutation aussi dans la fréquentation de la Seine.

[02:02]
Les origines de Saint-Pierre-du-Vauvray

Saint-Pierre-du-Vauvray, c'est un petit village blotti entre les collines de cette grande boucle de Seine, avec des îles boisées si particulières parce qu'en fait elles divisent la Seine en plusieurs bras. Cela en fait un site verdoyant, et en fait un site accueillant. Au cours du temps le nom de Saint-Pierre-du-Vauvray a évolué : au départ il s'appelait "Vauvrey", ça c'était en 996, jusqu'en en 1026. Puis Saint-Père-du-Vauvray, Saint-Père, le Père., a été donné comme nom en 1372. Il deviendra Saint-Pierre-du-Vauvray en 1741, donc le nom Saint-Pierre-du-Vauvray on l'a depuis 1741. Les conditions favorables, pêche, chasse, abri par les falaises sur les versants des collines, ces lieux ont toujours été stratégiques puisqu'ils conjuguent à la fois facilité de déplacement par voies fluviale et terrestre, et aussi par d'immenses forêts qui ont donné par la suite des plaines fertiles. Les Celtes, les Romains, les Francs, ont laissé des marqueurs de leur présence tout autour de la région, y compris... je parle de toute la vallée à la fois de la Seine et de l'Eure, puisque c'est le confluent de la Seine qui arrive de ce côté. Les Mérovingiens construisirent une maison royale à Pîtres, donc sur la rive droite de la Seine, et plus tard au Vaudreuil une maison royale. Cet endroit était déjà un peu fortifié avec les premières forteresses édifiées avec des pieux de bois. Petit à petit, ça s'est organisé jusqu'à devenir une immense forteresse qui avait une circonférence de 5km. Le duché de Normandie, après la conquête de l'Angleterre, a été le théâtre de multiples affrontements au sein familial du duché, puis avec les générations qui suivirent des affrontements avec le Royaume de France. C'est la raison pour laquelle le château-fort des Andelys a été construit par Richard Cœur-de-Lion en un an. Ce qui est étonnant. Oui je reviens toujours là dessus : la défense de la frontière française s'est faite aussi par le fleuve aussi, Vernon, Gaillon, et en face donc aux Andelys le château-fort ; et aussi par le Vaudreuil qui est toujours avec son immense forteresse, contrôlait toute cette région de Seine entre on peut dire Gaillon et Pont-de-l'Arche.

[06:03]
Le fortin de la Guerre de Cent Ans

Alors la Guerre de Cent Ans, ça va être court parce que en fait il n'y a pas beaucoup de documents. Il y a aussi dans les collines de Saint-Pierre un fortin qui est assez peu connu. Un monsieur qui était retraité de l'enseignement s'est intéressé à la chose et il dit ceci : "il existait un passage à gué avant que le barrage de Poses fasse son office de retenue d'eau" pour garder constamment une voie navigable, avec un système d'écluses. Et ce passage à gué se situe en amont de Saint-Pierre. On peut dire qu'on peut le repérer aujourd'hui avec les deux piliers qui sont restés dans la Seine : c'est là que passait la voie ferrée entre Louviers et Les Andelys. Ce pont a été détruit pendant la dernière guerre mondiale et il permet de repérer dans les collines un petit monticule qui pendant la Guerre de Cent Ans était un fortin. Ce fortin était tenu par un certain capitaine Robert Le Floch qui qui maintenait les Anglais à distance. Paraît-il que les Anglais se trouvaient sur la Côte des Deux-Amants et de ces deux points on pouvait s'observer. Et alors ce Monsieur Robert Le Floch est plus connu pour avoir délivré Évreux de l'occupation anglaise que d'avoir tenu le fortin qui était dans les collines à Saint-Pierre. Voilà ça c'est autre chose au niveau de la Guerre de Cent Ans.

[08:07]
Franchir la Seine

Le franchissement de la Seine à Saint-Pierre-du-Vauvray se faisait par un bac à péage et d'ailleurs il n'était pas seul, il y en avait un autre qui était à Muids, la liaison Muids-Venables, et un autre entre Porte-Joie et Herqueville. En fait le véritable premier pont sur ce tronçon de Seine fut construit au XIIe siècle à Porte-Joie, en s'appuyant sur l'île qui se trouve presque en face Porte-Joie, et cette grande largeur de Seine qui paraît-il pouvait être un passage à gué aussi. Et d'autre part sur cette sur cette île il y avait, on a retrouvé des pierres de grandes dimensions qui auraient été les bases d'une fortification qui servait de péage quand les gens empruntaient ce pont pour aller vers le Vexin. Donc ça aurait été la première voie de communication avec un pont sur le Vexin. [09:26] Dès 1853, la construction du pont avait été déclarée d'utilité publique. Il fut décidé et conçu sur le modèle du pont de Solférino à Paris. Le projet Boulanger accepté, on vote un emprunt de 700 000 francs pour le réaliser. Il doit se composer de trois travées [10:00] reposant sur deux piles piles qui étaient au milieu de la Seine. Le tablier en métal était soutenu par trois arches qui étaient en fonte. Le pont d'Andé fut à peu près identique. Tous deux prenaient appui sur l'île du Bac, puisque l'île servait de relais entre les deux ponts, comme aujourd'hui d'ailleurs. L'inauguration eut lieu le 29 décembre 1861. Il gelait, la température était de -8 degrés avec un brouillard épais. Voilà les conditions de l'inauguration de ces deux ponts.

[10:46]
L'effondrement du pont

Un événement majeur qui s'est passé à Saint-Pierre-du-Vauvray le 7 février 1913, c'est l'effondrement du pont. Ce pont long de 97 mètres entre Saint-Pierre et l'île du Bac était condamné par les ingénieurs de la navigation car son tirant d'eau n'était pas suffisant par période de crue, laissant insuffisamment de place dans les périodes de haute crue pour que les péniches puissent se glisser au milieu de l'arc. Le 7 février 1913, un train de bateaux composé d'un remorqueur qui s'appelait le Sambre, remorqueur à vapeur, et de trois péniches, l'Hector chargée de 142 kg de sucre, suivie par le Porteur numéro 29 et le Chamois, deux péniches vides. Il faut savoir que malgré tout ces péniches, bien qu'elles étaient ou pleines ou vides, tractées par un câble, était dirigées par un gouvernail. Donc chacune de ces péniches avait un équipage à bord pour rectifier éventuellement de ce qu'on voit avec un courant de 5 m 50 à la seconde pour rectifier éventuellement le guidage de ce convoi. Avec un courant de 5m50 à la seconde et un niveau d'eau à la côte 3m32, la hauteur au milieu de l'arche n'était que de 4m21. Pour avoir une chance de passer, il fallait absolument rester au milieu de l'arche. C'était absolument indispensable. Il était difficile de nuit d'estimer les corrections à apporter. La vitesse du convoi devait être assez élevée, 20km/h, pour qu'il y ait une tension sur les câbles de traction assez élevée pour garder les péniches dans l'axe. Ce qui ne fut pas le cas, car la présence de piles génère des courants latéraux à l'approche du pont. Le chaland Hector n'est pas tout à fait dans l'axe, il heurte avec sa barre l'une des trois arches de fonte. Le Porteur 29 casse une des arches avec ses boulards à bâbord. Ces boulards, ce sont des espèces de cylindres qui permettent de mettre à quai, d'attacher à quai les péniches. La remorque casse (ce qu'on appelle la remorque, c'est le câble), le Chamois fait office de catapulte. Dès que le Chamois a dépassé la troisième arche, dont l'arc est complètement rompu, l'arche tombe à la Seine. Les piles déséquilibrées s'écartent, les trois effondrements ont duré 1 à 2 minutes, pas plus. l'équipage composé d'une vingtaine de personnes a échappé à la mort. Seule une femme, la femme d'un matelot, a un bras cassé. Il faut dire aussi pour préciser une chose c'est que ce passages'est fait par mauvais temps, au mois de novembre, vers 18h30, la nuit tombée. Et il était déjà difficile de passer par temps normal, alors que là un courant fort, la nuit tombante, deux péniches vides, compliquaient le passage et on peut dire qu'il y a eu une succession de causes qui ont amené à la destruction du pont. Le choc a généré un bruit énorme, toute la population de Saint-Pierre est venue découvrir ce qui était impensable, l'effondrement du pont. Chance inouïe, quelqu'un s'amenait d'Andé et devait emprunter le pont, et quand il est arrivé au bord de la Seine, il a découvert le vide. Le dimanche suivant ça a été l'attraction d'une bonne partie du département, tout le monde venait découvrir les restes du pont qui étaient tombés à La Seine. Pour bien comprendre ce qui s'est réellement passé j'ai interrogé les mariniers, qui aujourd'hui ne tractent pas les péniches, mais plutôt les poussent, ce qui est complètement différent. En fait ce qui s'est passé c'est que les péniches vides, au moment où le remorqueur a choisi sa trajectoire sous l'arche du pont, allaient plus vite que le remorqueur à un moment donné. Donc elles ont dévié sur la droite et en déviant sur la droite elles ont heurté la partie basse de l'arche. Ça a été le début... bien entendu en heurtant la partie basse de l'arche, la péniche a été déviée mais elle a été à nouveau propulsée par la troisième péniche qui a servi de catapulte et qui a tapé dans le pilier et dans la partie basse de l'arche qui reposait sur ce pilier. Voilà l'explication exacte de la de la cause de la destruction du pont. N'ayant plus cet équilibre occasionné par les arches, les piliers se sont écartés et ça a été la fin quoi.

[17:16]
Le nouveau pont de 1923

La paix revenue, il fallait reconstruire le pont puisque pendant la guerre toute la traversée se faisait par bac, ce qui a posé énormément de problèmes pour l'usine Labelle, des problèmes aussi pour les ouvriers qui habitaient Andé parce que quelquefois l'hiver avec le courant c'était dangereux de traverser la Seine donc ils essayaient de louer des chambres sur Saint-Pierre, ou même des maisons mais les prix avaient tellement augmenté que ce n'était plus possible. Donc ça c'était aussi une des problèmes des communes avoisinantes. Donc ce pont à été reconstruit. Il y a eu un appel d'offres qui a été lancé. On devait monter un pont en métal et puis en fin de compte c'est une nouvelle technique qui a fait son chemin, la technique du béton armé creux. C'était une grande innovation pour l'époque. En une seule arche. Et ce pont qui a été reconstruit était et je crois est encore le plus grand pont au monde en béton armé creux, c'est-à-dire que l'arche, vous pouvez passer à l'intérieur. L'arche n'est pas pleine, elle a un creux très important à l'intérieur et un homme peut, il y a une petite porte à chaque extrémité et on peut traverser la Seine en passant par les arches. [19:10] À cette occasion, le pont fut inauguré en 1923 et cent coups de canon ont été tirés des collines environnantes. Pour vous dire l'ambiance...

[19:27]
Le chemin de fer

L'inauguration de la ligne Paris-Rouen, le 3 mai 1843. Le 3 mai 1843 à 7h45 du matin, le train part de Saint-Lazare et à son bord les deux fils de Louis-Philippe. Il est conduit par l'ingénieur britannique Joseph Locke, responsable de la construction de la ligne, parce que ce sont les Britanniques qui ont construit le chemin de fer, hein. La locomotive et les wagons ont été fournis par William Buddicom, industriel anglais installé à Sotteville-lès-Rouen. Le convoi fit un arrêt à Saint-Pierre, devant la gare, où l'attendaient les officiels avec fanfare. La cérémonie s'est terminée comme toujours par un grand festin, un grand banquet.Et à cette époque, il fallait dans les meilleures conditions 15h pour transporter par bateau à vapeur ce que le train transportait en 4h. Donc c'était un grand progrès. Donc les archives locales aussi, quoi qu'à la mairie je n'ai pas trouvé grand-chose là-dessus. Je l'ai lu, j'ai dû lire ça sur des anciennes revues d'historiens amateurs locaux. Parce que ce n'est pas si vieux, c'est quand même en 1843. Plus de 5000 ouvriers britanniques, enfin anglais, écossais, gallois, il y en a eu aussi du Nord de l'Italie, des ouvriers qui sont venus, au total 5000 ouvriers sont venus pour construire la voie ferrée. C'était même un problème parce qu'il fallait que les communes trouvent des logements, il fallait les nourrir, ce n'était pas simple du tout. Il faut savoir qu'il y a eu des ouvrages vraiment remarquables, vous avez notamment un tunnel qui a été fait pour la voie de Les Andelys-Louviers. Un tunnel remarquable. Il est très bien fait, on peut encore le voir aujourd'hui mais peu de personnes s'y aventurent parce que l'accès est difficile. Il y a eu aussi le tunnel qui a été construit à Venables. Donc c'était quand même une opération de grande envergure. 5000 ouvriers ont travaillé je crois pendant deux ans. C'était des grands travaux. [22:15] Un accident catastrophique qui a marqué les gens Saint-Pierre c'est le déraillement du train le 8 juillet 1985. Ce lundi matin, vers 8h du matin, un train arrivant de Rouen se dirigeant vers Paris traverse comme d'habitude le village de Saint-Pierre à la vitesse de 100 km/h. La route venant d'Andé est très chargée, les gens doivent prendre le passage à niveau, de nombreux véhicules empruntent cette voie. Au moment où la barrière s'abaisse un semi-remorque s'engage pour aller livrer des marchandises paraît-il dans une usine on ne sait pas laquelle. Le jeune chauffeur remplaçant ne connaît pas les lieux, essaie désespérément de se dégager mais stoppé par des voitures qui le suivaient, il n'a pas le temps donc il remonte dans sa cabine. Le choc est d'une violence inouïe, le tracteur arraché de sa remorque est propulsé dans le stade, au milieu du terrain de football. Pour vous dire la distance c'est certainement dans les 80 mètres au moins, ça vous donne une idée du choc. Le chauffeur a été tué sur le coup. La veille il y avait la fête foraine avec les forains et leurs manèges et les roulottes et tout leur matériel. Coup de chance il n'y a pas eu de blessé. Le train dans son élan, les wagons ont cisaillé les caténaires. Les wagons ont commencé à dérailler mais ils ont gardé leur trajectoire au moins sur 300m. Comme c'est une ligne électrifiée il y a eu des court-circuits, des étincelles et tout, c'est d'ailleurs surprenant qu'il n'y ait pas eu le feu. L'élan était tel, parce que la locomotive au lieu de tirer le train elle le poussait, elle était à l'arrière et c'est la partie la plus lourde, mais le train était bien guidé par l'avant, donc le conducteur du train était à l'avant. Et petit à petit, les chocs absorbant la vitesse, il y a un wagon qui s'est mis en portefeuille, qui s'est enroulé autour d'une caténaire. Et c'est là où il y a eu les morts d'ailleurs, les gens qui étaient dedans ont été écrasés par cette masse de ferraille qui s'est refermée comme un piège sur eux. Et les maisons proches de la voie, puisque la voie il y a deux petites routes de chaque côté, les wagons ont débordé forcément puisqu'ils se sont mis en accordéon, et ont abîmé les maisons mais sans faire de victimes chez les habitants. La situation est tout à fait particulière parce que Saint-Pierre est un cul-de-sac. Le passage à niveau étant bloqué, puisque la remorque était là, les voitures et tout, et il y avait une file de voitures jusqu'à Andé puisque plus personne ne pouvait passer. Les moyens bien qu'assez rapides ont mis du temps, donc les habitants comme moi, alors là j'ai été un témoin visuel puisque j'étais... je suis arrivé peut-être moi dix minutes / un quart d'heure après. Pourquoi tout simplement parce que huit jours avant il y a un film qui avait été tourné par le Moulin d'Andé et dans le scénario du film il y avait un accident sur le pont, et on entendait les ambulances et tout, et je me suis dit moi, parce que le lundi matin il n'y avait pas grand monde, les gens étaient partis travailler mais moi je ne travaillais pas le lundi, et mon épouse conduisait les enfants à l'école, et j'étais donc resté là et je me dis c'est bizarre, on entend les ambulances. Parce que malgré tout, les pompiers sont arrivés très très vite mais le problème c'est qu'ils ne pouvaient pas passer. Et j'ai donc été voir, on est quoi à 150 mètres, 200 mètres de la route, du passage à niveau. Alors quand j'ai vu la catastrophe, c'était fils électriques partout, les wagons, il y avait 7-8 wagons en accordéon, la locomotive qui était à l'arrière, elle, n'avait rien, les caténaires coupées, tombées de part et d'autre de la voie, donc les deux chemins d'accès étaient recouvert par les pierres qui était sur le ballast. Les pierres ont jailli pratiquement de chaque côté. Et des gens étaient restés prisonniers des wagons parce que les wagons étaient bien fermés. Alors certains étaient tombés, mais impossible de les ouvrir. Alors il y avait un jardinier qui avait une pioche, il a réussi à casser quelques glaces. On a fini par récupérer les gens et les gens qui n'étaient pas blessés on récupérait leurs bagages, on les a aidés, on a essayé de leur remonter le moral et on les a emmenés jusqu'à la gare parce que paraît-il qu'un car devait venir les chercher. Et les autres, il y a un hôpital de campagne qui a été très vite organisé sur le terrain de football, et là il y a eu un ballet d'hélicoptères parce qu'il y avait quand même des blessés extrêmement graves, il y a des blessés qui ont été soignés sur place. Au total aujourd'hui on peut dire, enfin ce sont les chiffres officiels, il y avait eu 9 morts. Mais le maire me disait encore ce matin, est-ce qu'il n'y a pas eu des gens qui sont décédés des suites de leurs blessures, ça on ne le sait pas. Et puis énormément de blessés, je crois me souvenir qu'il y avait quarante à cinquante blessés. Suite à cela, tout le monde a demandé à ce que ce passage à niveau extrêmement dangereux soit supprimé. Alors il a fini par être supprimé et on a fait un passage souterrain que vous pouvez emprunter aujourd'hui.

[29:25]
La Première Guerre mondiale

L'activité ferroviaire transportant les troupes et les équipements, les soldats, informe disons à chaque passage la population des activités militaires. À chaque arrêt du train venant de Paris des nouvelles tombent, régulièrement, et souvent alarmantes. Le transport fluvial lui, achemine du charbon, des matières premières, avec une régularité constante, et inquiète d'ailleurs les mariniers pour pouvoir livrer en temps prévu leurs marchandises, dont le sort du pays dépendait. J'ai souvent remarqué ce malaise car la navigation sur la Seine était telle pour alimenter le front, et les péniches étaient nombreuses du fait du faible tonnage aussi, il faut le dire, et aussi par l'activité du port de Rouen qui amenait des marchandises, y compris le charbon du Pays de Galles, l'industrie en dépendait. Une habitante de Saint-Pierre m'a raconté notamment avoir vu des soldats anglais quand le train passait au ralenti à la gare de Saint-Pierre, brandir des drapeaux, sourire au visage, presque heureux d'aller en découdre.

[31:30]
La Seconde Guerre mondiale

Le 10 juin 1940, la Wehrmacht se présente au pont d'Andé. Le pont d'Andé avait été miné par le Génie français. Il y avait une foule absolument disparate sur les routes, qu'on appelle l'exode. Des chevaux, des charrettes, toutes sortes... Et des témoins oculaires m'ont certifié que dans la matinée des motocyclistes allemands s'étaient dissimulés dans le flot des gens qui fuyaient. Et l'armée française leur a tiré quelques salves de mitrailleuse, ils ont fait demi-tour et ont regagné Andé. La circulation a été coupée on m'a dit à 11h15 - 11h30 puis le pont d'Andé a sauté à ce moment-là. En fin de matinée. Alors à Saint-Pierre, la population ayant entendu l'explosion du pont d'Andé, la plupart des gens ont quitté précipitamment leur maison et se sont enfuis vers Louviers. Il restait en début d'après-midi assez peu de monde. Un témoin oculaire m'a donné une information que je connaissais déjà : vers 11h45 il y a eu beaucoup d'avions qui sont passés au-dessus, il m'a dit que c'était difficile à identifier et à un moment donné il a vu deux avions, il y avait certainement un avion français et un allemand, parce qu'ils se tiraient dessus à coups de mitrailleuse, et le combat s'est déporté vers ce qu'on appelle le camping aujourd'hui, c'est-à-dire vers le Sud de Saint-Pierre, vers l'amont, c'est-à-dire vers Heudebouville. Et on n'en a pas su plus. Vers un peu plus de 13h, il y a eu une déflagration absolument terrifiante, d'une violence inouïe, les gens ont cru à un tremblement de terre. Toutes les fenêtres, les toitures, il y a eu d'ailleurs beaucoup de maisons lézardées à cause de ça : le pont de Saint-Pierre a sauté. Je ne répéterai pas la quantité de dynamite qui a été mise à chaque pied parce que j'ai du mal à croire que ce soit possible. Toujours est-il que pendant un temps, les Français disaient que c'était les Anglais qui l'avaient fait sauter, les Gallois plutôt parce que c'était un régiment de Gallois qui était ici, et les Gallois disaient que c'était les Français. Et en fait ce sont les Français. Il paraît qu'il y aurait eu un ordre, certainement par les services secrets ou quelque chose comme ça, de faire sauter le pont de Saint-Pierre. Parce que malgré tout le pont d'Andé n'existait plus. Les Allemands était arrêtés. Mais il y avait l'île. Donc le pont a littéralement explosé, avec des morceaux qui encombraient la Seine, puisque c'était un pont ne l'oublions pas en béton armé. Et les ferrailles faisaient un lien entre les morceaux qui avaient explosé. Donc la Seine n'était plus navigable, on ne pouvait plus circuler sur la Seine. Dans l'après-midi il y a eu des tirs, d'abord des tirs de mitrailleuses de chaque côté, les Allemands paraît-il avaient réussi à gagner l'île du Bac. Il y a eu des tirs de mitrailleuse et ensuite des tirs de calibres beaucoup plus importants, des calibres de canon. Les Français avaient installé apparemment des canons dans les collines et des mitrailleuses, toujours est-il que de la journée les Allemands n'ont pas pu prendre pied, n'ont même pas essayé de traverser la Seine, c'était absolument impossible. À à la mairie de Saint-Pierre ne restait que l'envoyé du préfet, parce que les préfets, alors ça aussi je l'ai appris, les préfets ne confiaient pas l'organisation du départ de la population au maires : ils avaient envoyé des fonctionnaires qui étaient là pour ça. Et le fonctionnaire qui était à Saint-Pierre s'appelait Monsieur Nohaut, qui était resté en dernier avec la dame qui était directrice d'école et qui a servi d'ailleurs de secrétaire puisqu'elle a tapé le résumé de cette journée sur un document que j'ai pu retrouver en consultant les délibérations de mairie de cette date. [36:55] Alors je vous amène le document dont je vous avais parlé, des délibérations de mairie. On arrive à la page... ça a été mis à cette page, au 14 mai, mais en fait c'est le 10 juin, hein. Voilà le document qui explique tout ce qui s'est passé le 10 juin 1940. Alors nous avons deux pages qui expliquent la bataille de Saint-Pierre du matin jusqu'à disons 18h30 le soir, puisque dans la nuit il n'y avait pas de témoignage possible. Ce qu'on sait, c'est que le lendemain, vers 4h du matin, les Allemands étaient maîtres de Saint-Pierre. "Aux environs de midi, un crépitement de mitrailleuse se fit entendre à la tête du pont d'Andé. Les soldats de garde avaient repéré parmi les réfugiés un groupe de quatre motocyclistes allemands et les accueillis par une salve efficace. Une des motocyclettes était restée sur le terrain et fut rapportée comme trophée. Une heure après, une forte explosion nous apprit que le pont d'Andé venait de sauter." Donc à Saint-Pierre ne restait pratiquement que deux ou trois personnes et dans la soirée, vers 18h30 - 19h, les tirs étaient tellement violents d'un côté comme de l'autre qu'il a dit bon bien maintenant ce n'est plus la peine qu'on reste là, il faut évacuer, et pratiquement tout le monde avait évacué Saint-Pierre, il ne restait plus personne. Restaient plus que les troupes françaises et les troupes galloises. Alors d'après ce que j'ai pu entendre par la suite, des témoignages, il y a eu sans arrêt quand même une bataille violente. Et il se passe un phénomène sur la Seine que les gens qui ne sont pas riverains ne connaissent pas : quand il y a inversion des températures, c'est-à-dire que l'eau devient plus chaude que l'air, et ça, ça se fait souvent la nuit au mois de juin, ça forme un petit nuage au-dessus de l'eau. Comme un nuage de camouflage, un petit brouillard, ce n'est pas un nuage en fait, c'est un brouillard. Et les Allemands auraient profité de cela vers 2h30 - 3h du matin pour traverser avec des pneumatiques. Sauf que le comité d'accueil était là, et je veux bien croire que ça a été très violent. À cette bataille le 10 juin 1940, il y a d'abord eu une succession de tentatives de traversée et vers 3h30 - 4h du matin les Allemands ont réussi à prendre pied sur les berges de la Seine côté rive gauche à Saint-Pierre-du-Vauvray. Ils étaient devenus maîtres de Saint-Pierre. Il faut savoir qu'il n'y avait pratiquement personne pour enterrer les morts. Alors les morts : il y a eu 29 morts, 11 Français, 8 Gallois, 10 Allemands, 5 civils. Mais, d'après ce que j'ai pu entendre, c'est que quand il y avait des tirs qui étaient faits sur la Seine en direction des pneumatiques, il y a des soldats qui seraient tombés à l'eau et qui auraient été entraînés par le courant, des soldats allemands. Alors le chiffre des Allemands, on n'en n'est pas sûr du tout. Donc officiellement, il y en a 10, mais en fait il paraît, par des habitants qui étaient à Andé, qui maintenant ne sont plus vivants, me disaient en fait il y en a certainement plus que cela, ce n'est pas possible qu'ils aient pu traverser avec si peu de morts. Mais il fallait aussi montrer de leur côté qu'ils étaient capables de faire mieux que les Français quoi. Alors les morts, ils ont récupéré des gens pour les enterrer sur place, c'est-à-dire qu'ils ont été enterrés à peu de profondeur au bord de la Seine, là où ils étaient tombés, y compris vers Tournedos, puisque les Gallois étaient plutôt vers Tournedos Donc on sait exactement où ils ont traversé, c'est-à-dire à côté du silo et un peu plus loin que le silo, en fait sur on peut dire une distance de 250m en gros. Voilà. Ce que j'ai entendu dire aussi, c'est que le parapet formé par la ligne de chemin de fer aurait servi les Français à se camoufler derrière, maintenant là, ce ne sont pas des témoignages qu'on peut donner comme ça, je l'ai entendu surtout par des habitants d'Andé, qui disaient "oui, il s'est passé ceci, il s'est passé cela" mais je n'ai jamais pu par recoupement vraiment avoir une version officielle. Mais moi qui connais bien la topographie du terrain, c'est tout à fait plausible, d'autant plus que suite à cela, un professeur d'une université anglaise m'a contacté parce que son aïeul a été tué sur les bords de Seine. Il voulait savoir comment ça s'était passé et tout, et par les photos de l'époque, par la topographie du terrain, on peut ire oui, ça s'est situé absolument là parce que, vous voyez par exemple, face à l'endroit où j'habite, l'île était pleine de peupliers, donc absolument difficile, ce n'était pas du tout pratique pour eux, alors que de l'autre côté c'était beaucoup plus accessible, plus facile. Mais ça, vraisemblablement ça s'est passé comme cela. Et aussi, la personne qui a récupéré les corps les a récupérés en face, là-bas, c'est-à-dire que s'ils avaient été tués ici, ils auraient été enterrés ici. Donc avec la position des corps, on savait à peu près où ils avaient été tués. Une chose aussi, tous ceux qui ont été tués à cette bataille ont été déclarés tués le 10 août 1940. Pourquoi ? Parce que le village a commencé à âtre réinvesti par les habitants, il faut savoir que tout a été pillé, dans les maisons il ne restait plus rien... Il y avait certainement dans les villages aux alentours des gens qui en ont profité pour venir piller. Et donc ils ont récupéré les corps et les ont enterrés au cimetière, y compris les Gallois. Alors je sais qu'il y a un officier allemand qui a été tué ici et qui a été enterré au cimetière mais par les Allemands eux-mêmes. Maintenant, les soldats allemands, je ne sais pas... Ou est-ce qu'ils les ont mis dans un coin du cimetière et que ça a été oublié depuis ça je ne sais pas. Ce qu'on peut ajouter, c'est que trois jours après, Louviers a pratiquement été rayée de la carte. A été bombardée, parce qu'ils pensaient que l'armée française s'était réfugiée dans Louviers et allait défendre Louviers. Et en fait, que ce soient les troupes britanniques ou les troupes françaises, il n'y a pas eu une ligne de résistance une fois que les Allemands ont passé la Seine. Il n'y a pas une grande ligne de résistance. Il y a eu des défenses sporadiques mais ça n'a pas vraiment organisé. [45:22] Je vais vous parler d'un événement aussi peu connu, à part par les mariniers, les anciens mariniers. Les 7 et 8 juin 1940, tous les mariniers reçoivent un ordre, de descendre avec leur péniche le cours de la Seine jusqu'à Rouen et même Le Havre, pour essayer de mettre à l'abri le matériel flottant, les péniches, les remorqueurs.Il faut savoir que le 10 juin, les Allemands avaient descendu presque l'Andelle, étaient pas loin de Pont-de-l'Arche, ici ils étaient arrivés à Andé, un peu plus haut ils étaient à Vernon. Et les mariniers se sont regroupés, sont arrivés à Rouen, Rouen a été bombardée par les bombardiers allemands Les réserves de pétrole de Grand-Couronne brûlaient, paraît-il qu'à Paris on apercevait, le vent était au Nord, on apercevait les colonnes de fumée de Grand-Couronne qui retombaient sur Paris. Pour vous dire... Alors le passage pour Rouen était difficile. D'ailleurs il y a une anecdote : au moment où une des péniches passe sous un des ponts de Rouen, le Génie, qui avait placé des charges pour le faire sauter, déclenche l'explosion, et il y a une cabine d'une péniche qui a été pratiquement coupée en deux. Une dame a été je crois tuée d'ailleurs, elle faisait partie de la famille de la personne qui a écrit un document là-dessus. Ces péniches sont allées jusqu'au Havre, la Marine nationale les a récupérées, a organisé un départ. À l'origine ce qui était prévu, je n'ai pas pu trouver de documents là-dessus mais c'est ce qui est dit par les mariniers, ils devaient traverser la Manche pour regagner l'Angleterre. Certainement qu'ils ont été dépassés par l'avance allemande, qui est arrivée précipitamment de Dunkerque jusqu'ici, du coup la Marine française a mis à leur service des bateaux de la Marine nationale, ils ont même organisé les péniches pour qu'elles puissent naviguer en mer, c'est-à-dire qu'on les a chargées d'eau de mer pour faire un poids de façon à ce que malgré les vagues, malgré la houle, elles tiennent, elles ne risquent pas de couler. Par petits bonds ils ont gagné Honfleur, de Honfleur ils ont regagné Ouistreham, et par petits sauts de puce ils sont arrivés jusqu'à Cherbourg, ils ont affronté le fameux Raz Blanchard qui est extrêmement dangereux, avec des courants extrêmement violents, pour arriver à Granville et Saint-Malo. Et ils ont terminé leur course à Morlaix. À Morlaix ça a été la dernière étape parce qu'en fait ils devaient aller jusqu'à Brest, tout simplement les Allemands arrivaient à Morlaix en même temps. Cela n'a pas servi à grand-chose puisque de toute façon les péniches ont été stockées à Morlaix pendant pratiquement toute la guerre.

Mots-clés et témoignages associés

En cliquant sur un mot-clé, vous lancez une recherche de celui-ci dans le recueil.

Communes
Andé
Gaillon
Herqueville
Heudebouville
Le Vaudreuil
Les-Trois-Lacs (anciennement Venables, Bernières-sur-Seine et Tosny)
Louviers
Pîtres
Pont-de-l'Arche
Porte-de-Seine (anciennement Porte-Joie et Tournedos-sur-Seine)
Saint-Pierre-du-Vauvray


Périodes
Haut Moyen Âge
XIe-XVe siècles
XVIIIe siècle
1800-1850
1900-1914
Première Guerre mondiale
Seconde Guerre mondiale


Thématiques
Andelle
Archéologie
Architecture, urbanisme
Art, cinéma, littérature
Batellerie
Guerre
Histoire
Navigation
Ouvrages d'art


Voir aussi
Témoignage de M. Jean-Pierre BREVAL, maire de Herqueville ~~ Mme Yvette PETIT-DECROIX, déléguée départementale de la Fondation du Patrimoine dans l'Eure

Témoignage de M. Pierre CLEROUT, habitant et ancien maire de Saint-Pierre-du-Vauvray

Témoignage de M. Jean-François DESAINT, propriétaire de l'Hostellerie Saint-Pierre à Saint-Pierre-du-Vauvray

Témoignage de M. Paul EMAER, habitant d'Herqueville

Témoignage de M. Philippe FAJON, archéologue au Service régional d'archéologie, Direction régionale des affaires culturelles de Normandie

Retour  en haut